Suspension de plusieurs médias occidentaux au Burkina Faso    France – Renationalisation partielle d'Atos : Les technologies clés !    Quelles sont les raisons de l'ouverture d'un bureau du FMI à Riyad en Arabie Saoudite ?    Une première en France : Le gouvernement annonce une plainte contre Mélenchon    Ambassadeur italien, Jaouhar Ben Mbarek… Les 5 infos du week-end    Enseignement supérieur : la fédération appelle à participer au projet d'amendement    Elections de la FTF : rejet de l'appel de Wassef Jlaiel, réexamen des listes de Ben Tekaya et Tlemçani    Netanyahu et son gouvernement embêtés par la menace de mandats d'arrêt délivrés par la CPI    Pénalisation de l'homosexualité et de la transsexualité en Irak... Les américains se disent inquiets !    Tunisie – METEO : Quelques passages nuageux et brouillard en fin de nuit    Dégradation de l'état de santé de Jaouhar Ben Mbarek    L'hommage d'un professeur à une élève ayant décidé de porter le hijab suscite la controverse    UST: Défendre son leadership    Ligue1—Play-off-5ème journée — ST-USM (0-0): Il ne manquait que les buts...    CA: Chasser le signe indien    Tensions à Sciences Po : Quand la politique s'immisce dans l'expression étudiante    Coupures programmée d'électricité dans les régions de Monastir et Sidi Bouzid    Faire entendre sa voix dans le monde    Tunisie-Canada: Un don de 185 ouvrages à la Bibliothèque nationale Tunisienne    La Kasbah—Activités du Chef du gouvernement durant la quatrième semaine d'avril 2024: Une batterie de mesures pour faciliter le retour des Tunisiens à l'étranger    11e session de la commission mixte Tuniso-camerounaise à Yaoundé: Consolider la coopération dans divers domaines    DECES ET FARK: Kamel SAMMARI    Trois questions à Samir Meddeb, président de l'association Racines et Développement Durable: "Nos pratiques de consommation ne sont pas durables"    Affaire présumée de trafic de psychotropes: Médecins et pharmaciens sous le joug de la caducité de la loi    Chroniques de la Byrsa: Circulez (sur le bitume), il n'y a plus rien à voir !    Mesures contre la triche au bac: Tirer profit des expériences antérieures    Violences faites aux femmes en Tunisie : Que disent les chiffres ?    ECHOS De la FILT: Le ministre italien de la Culture au pavillon de l'Italie    La ligne d'or: Parler avec passion et amour : l'art de captiver son auditoire    Coopération bilatérale: Signature d'une convention de jumelage tuniso-italienne dans le secteur du patrimoine    Que nous révèlent les prix des matières premières sur l'économie mondiale ?    Imed Khemiri : ce système est celui de l'échec !    Volley – Play-offs Nationale A (SF) : CSS 3-0 EST, résultats de la J3 (vidéos)    Salon du livre : l'ambassadeur italien « dégagé » par des militants de l'Action pour la Palestine    Ons Jabeur en huitième de finale du tournoi de Madrid    Miss Buenos Aires 2024 : Une femme de 60 ans brise les barrières de l'âge    En vidéo : Sihem Ben Abdessamad présente le Challenge Startupper de l'Année par TotalEnergies    Après sa qualification, 7 millions de dinars pour l'EST    Endettement public : La Tunisie déterminée à honorer ses engagements en comptant sur ses propres ressources    Gianni Infantino félicite l'EST pour sa qualification à la coupe du monde des clubs 2025    Malgré les restrictions sionistes : 45 000 Palestiniens assistent à la prière du vendredi à Al-Aqsa    Omar El Ouaer Trio et Alia Sellami au Goethe Institut Tunis pour célébrer la journée internationale du Jazz    Sousse - L'Institut français de Tunisie inaugure un nouvel espace dédié à la jeunesse et à la coopération    Hédi Timoumi : certains donnent des cours d'histoire sans l'avoir jamais étudiée    Journée internationale de la danse : Le Théâtre de l'opéra de Tunis organise la manifestation "Danse pour Tous"    L'Office des phosphates marocain lève 2 milliards USD sur les marchés internationaux    Kenizé Mourad au Palais Nejma Ezzahra à Sidi Bou Said : «Le Parfum de notre Terre» ou le roman boycotté    Safi Said poursuivi suite à son projet pour Djerba    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Sur le chemin de l'idéalisme allemand
Philosophie et psychanalyse
Publié dans La Presse de Tunisie le 03 - 08 - 2018


Par Raouf SEDDIK
La psychologie moderne tend à décomposer le moi. Donc l'âme. En y distinguant des niveaux de profondeur. Un des grands débats va concerner le statut de l'inconscient. On affirme que quelque chose est moi sans que je sois conscient de ce quelque chose : ni de ce qu'il est ni même qu'il existe. Ce qui signifie encore que le mode d'être du moi n'est pas d'être assuré de soi ou en possession de soi. Ou disons que ce fait d'être assuré et en possession de soi ne représente qu'une modalité secondaire, et finalement trompeuse, puisqu'elle nous fait croire qu'en elle se résume le moi, alors que cette prétention est tout à fait illusoire. On est soi dans une sorte de cécité de soi : je est un autre, dirions-nous en reprenant la formule de Rimbaud.
Mais ce moi profond qu'est l'inconscient est-il une partie irrémédiablement insaisissable ou pouvons-nous y projeter la lumière volontaire et artificielle de notre curiosité, à la façon de quelqu'un qui explorerait une cave muni d'une lampe de poche ? Si nous répondons par l'affirmative, nous sommes en train de présupposer que ce moi profond n'est pas inconnaissable mais seulement inconnu : inconnu dans la mesure exacte du manque d'exploration engagée par nos soins. Il y aurait un déficit du côté de la lumière que nous portons dans la direction de notre vrai moi et c'est ce qui expliquerait que ce dernier se présente à nous, de prime abord, comme une terra incognita, que nous serions tentés de croire — tout à fait à tort — absolument inexplorable !
Mais nous pouvons aussi répondre par la négative, en faisant valoir un inconscient irréductible et absolu, et en considérant même que la profondeur du moi réside précisément dans le fait qu'il n'ait pas été contaminé par notre savoir, altéré, faussé par la représentation qu'on s'en fait. Au triomphe d'une psychologie qui prétend ramener l'opacité de l'inconscient à la transparence d'un regard résolument scrutateur s'oppose donc le rappel que ce qui est vraiment profond dans le moi, c'est précisément ce qui demeure rebelle à tout éclairage, constitutivement jaloux de son obscurité. La seule manière de le connaître, s'il est d'ailleurs permis ici de parler de connaissance, c'est de l'apprivoiser dans une sorte de déférence : de se faire à l'idée de sa présence, au cœur de soi, en ayant l'humilité d'admettre qu'il est le centre et que cette conscience qui parle et interroge n'est elle-même que la périphérie.
Kant et ses trois «moi»
L'opposition entre Freud et Jung, que nous avons évoquée en passant dans une chronique précédente, s'inscrit elle-même entièrement dans la première réponse : l'inconscient est connaissable mais ce qu'il révèle ne se laisse pas déterminer de la même façon pour l'un et pour l'autre. Ce conflit d'interprétation, qui concerne également d'autres figures de la théorie psychanalytique, et le fait qu'il soit apparemment si difficile à résoudre, pourrait d'ailleurs plaider en faveur de la seconde réponse : face à ce qui se dérobe de soi-même, il n'est pas possible d'affirmer quelque chose qu'on puisse imposer aux autres de façon décisive... On ne fait que projeter ses hypothèses, sans pouvoir empêcher l'autre de projeter les siennes propres. Rien ne pourra venir départager l'un ou l'autre des protagonistes.
Mais ce qu'il faut d'abord souligner, c'est que cette décomposition de l'âme a des antécédents dans la philosophie. Nous en avons parlé à propos de Platon et d'Aristote. Plus près de nous, et dans un langage qui préfère parler de moi ou d'ego, il y a l'expérience de l'idéalisme allemand. L'idéalisme allemand n'est pas un courant de pensée parmi d'autres : il a joué dans la modernité un rôle central et son analyse du moi constitue d'une part un précédent, comme nous le disions, par rapport à cette tendance à y voir des couches et des niveaux de vérité mais aussi, et d'autre part, le lieu à partir duquel vont pouvoir se construire les éléments d'une critique de la psychanalyse du point de vue de sa manière à elle de diviser le moi.
Emmanuel Kant, qu'on peut considérer comme le fondateur de l'idéalisme allemand, distingue dans le moi trois lieux qui sont aussi trois significations différentes du mot : le moi empirique, en tant qu'il peut être objet d'une expérience parmi d'autres objets ; le moi transcendantal, qui est ce sans quoi il n'est pas de connaissance possible pour l'homme et à propos duquel notre philosophe parle de formes a priori de la sensibilité et de l'entendement et, enfin, le moi comme âme immortelle : moi qui est hors de portée de toute connaissance mais qui demeure tout à fait «pensable» par la raison (pratique) et sans lequel on ne saurait concevoir une communauté de sujets libres, agissant de façon autonome, c'est-à-dire sous l'autorité d'une loi qu'il se donne à lui-même.
Le «moi absolu» de Fichte
L'idéalisme allemand part donc de cette division, qu'il reprendra chaque fois en la modifiant, mais en insistant toujours sur la dimension active du moi, dans le sens où ce dernier serait le producteur de la connaissance et que le monde extérieur ne serait rien d'autre que ce que nous en donne à percevoir le moi... Bref, nous dit-il, il n'y a pas de monde subsistant en dehors de nous que la connaissance consisterait à sortir de l'ombre pour en découvrir les lois : il y a un monde que le moi pose en dehors de lui comme son «idée», parce qu'il n'est pas simplement quelque chose qui se laisse imprégner ou heurter par la réalité : il est ce par l'existence de quoi il y a monde.
Certes, à travers la reconnaissance de la dimension de la sensibilité dans le moi, Kant admet qu'il existe bien en dehors de soi ce qu'il appelle un «divers»: une matière disséminée de ce qui se donne à percevoir. Mais ce divers ne fait pas monde : il lui faut «l'unité transcendantale» du moi pour prendre la forme de quelque chose d'étant et de connaissable...
Johann Gottlieb Fichte (1762-1814) ira plus loin dans cette conception «démiurgique» en affirmant que les formes a priori de l'entendement, ou catégories, ne sont pas des structures dont le moi hérite, au sens où nous avons dit que, pour Descartes, il y a dans l'âme des «idées innées» dont il hérite... Kant corrigeait Descartes en disant que ce dont hérite l'âme humaine, ce n'est pas des idées toutes faites, mais seulement des outils permettant de les construire. Toutefois, il n'expliquait pas le lien intime qui peut exister entre ces outils — les formes a priori (de l'entendement) — et le moi comme instance de construction... Or pour Fichte, il n'y a pas héritage : ces formes a priori sont elles-mêmes produites et construites par le moi !
Ce qui veut dire que l'on revient en quelque sorte à l'idée de «tabula rasa», à ceci près — qui est énorme — que le vide initial n'est pas une tablette où viendront s'inscrire les impressions issues de nos expériences, comme le supposaient les empiristes, mais un espace de liberté pour le moi afin qu'il crée le monde à partir de son propre fond.
Avec Fichte, nous abordons la contrée du «moi absolu»: celle d'une conscience pure, qui est à distinguer de la conscience empirique et dont nous essaierons d'explorer la notion la prochaine fois.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.