La nuit de la danse, avec «Seul Solo» de Imed Jemaâ et «Bnet Wasla» de Héla Fattoumi et Eric Lamoureux, côté jardin, et «Freedom House» de Chedli Arfaoui au théâtre de plein air du centre, le Festival international de Hammamet reste une scène incontournable pour les arts vivants. Le 30 juillet 2018, le Festival international de Hammamet a consacré sa soirée à la danse. Une nuit chorégraphique dédiée au travail scénique remarquable de trois talents : Imed Jemaâ, Héla Fattoumi et Eric Lamoureux, venus présenter successivement deux œuvres intitulées « Seul Solo » et « Bnet Wasla ». 22h00, la scène outdoor, située à proximité du théâtre de plein air, est emménagée pour accueillir le Solo d'Imed Jemaâ intitulé «Seul Solo», monument de la danse contemporaine tunisienne. Une œuvre personnalisée, personnelle et singulière, reflet de son créateur, metteur en scène et protagoniste sur scène. Dans des mouvements corporels fluides et tellement expressifs, le chorégraphe s'est lancé dans la présentation de sa création sur une musique entraînante et hypnotisante pour le public présent. Lumière tamisée, endroit peu éclairé mais adapté à l'univers de ce monologue chorégraphique, les propos de l'acteur résonneront au fur à mesure dans tout l'espace. Des bribes de paroles relatant son propre vécu, ses propres questions (parfois sans réponses) et une mise au point fatidique qui survient au bout d'une trentaine d'années de parcours accompli dans l'univers de la danse. L'artiste est acteur danseur-chorégraphe et metteur en scène, multidisciplinaire, il a toujours cru en son art. Son imaginaire est mis au service de son travail laissant libre cours à son inspiration et à ses aspirations. Après près d'une heure de spectacle, 10 minutes l'ont séparé de la 2e œuvre franco-tunisienne attendue de la soirée, créée pour le ballet de l'Opéra de Tunis et tenue par 4 magnifiques danseuses interprètes qui sont Oumaima Manaï, Cyrine Douss, Nour Mzoughi et Houda Riahi. Synchronisation impeccable et présence scénique transcendante dirigées par Héla Fattoumi et Eric Lamoureux sous ses airs sonores sombres mais envoûtants qui ont bercé la foule. Le duo s'est engagé à travers Bnet Wasla à esquisser l'évolution que subit la femme selon le contexte dans lequel elle vit. Son émancipation exprimée à travers un langage corporel puissant et dégoulinant de sens. Désir, révolte, liberté de la femme interculturelle et intergénérationnelle... tout y est exprimé en une quarantaine de minutes. Entamer le mois d'août avec du théâtre, c'est l'idée qu'a eue le comité d'organisation de la 54e édition et pas des moindres. La dernière création de Chedly Arfaoui a fait sensation au cours de l'année précédente. Chekra Rammeh, Mouna Talmoudi, Abdelkader Ben Saïd et Mohamed Hassine Grayaâ ont unanimement conquis un public présent lors d‘une soirée théâtre. Oscillant entre sourires, rires et moments forts, la représentation fut un ascenseur émotionnel... Ayant pour thème la Tunisie postrévolutionnaire, l'œuvre est composée de diverses scènes rassemblant des protagonistes, non moins charismatiques : des soldats, des prostituées ou encore des soldates combattantes engagées dans la lutte contre l'insécurité. La mise en scène est parodique, burlesque à souhait ... réalisée sur un fond sonore attrayant. La pièce a été donnée devant un théâtre de plein air comble, composé de spectateurs tout public, âgé de 7 à 77 ans. Elle est amplement portée par ses personnages. Leurs interprétations n'ont pas laissé indifférent : Chekra Rammeh et Mouna Talmoudi, tantôt en soldates tantôt en prostituées, quittant un cabaret et se retrouvant face à une foule de soldats, et Grayaa, soldat caduque, bavard et sa troupe tiennent les rênes de la création ... L'intrigue tourne autour d'un général et de ses trois hommes qui forment le « Freedom House » et qui ont pour mission de maintenir l'ordre après un coup d'Etat. La scène est plongée dans l'obscurité et dans une fumée, génératrice de peur-panique et d'une atmosphère chaotique. Des lampes éparpillées sur scène, et de longs fils accrochés, éveillent curiosité auprès des spectateurs avant même le commencement de la pièce. Une ambiance qui nous replonge dans la révolution tunisienne de 2011. Entre euphorie libératrice et peur étouffante, les personnages transmettent joie, frustration, peur ... autant d'émotions possibles, dans 4 à 6 scènes successives où l'humour finit par prendre le dessus. Les faits sont incontestablement inspirés de faits réels, vécus par le peuple tunisien, quelques années auparavant : ils évoquent les terroristes qui s'entraînent dans la montagne, les citoyens gardiens de leurs quartiers ou encore biens publics ou privés saccagés, un hymne à la révolution était bel et bien en train de prendre forme au fur à mesure de la pièce. La création dénonce les fausses promesses des politiciens, l'instabilité régnante et ses personnages aspirant à une utopie inaccessible ou même nostalgique par moments. Entre piques humoristiques et réflexions moroses, une prise de conscience de la part du public est aussitôt acquise : celle qui dit à quel point la frontière entre dictature et démocratie demeure si ténue.