Le cadre juridique réglementant la gestion des catastrophes naturelles est placé, depuis 1906, sous le signe de la confusion, de l'imprécision, voire de la maladresse jusque dans les définitions. L'Association tunisienne du droit des assurances (Atda) a organisé, mercredi dernier, en collaboration avec la Fédération tunisiennes des sociétés d'assurances ( Ftusa) un colloque sur les catastrophes naturelles et l'assurance. Cette rencontre vise à interpeller les parties responsables de la gestion des catastrophes naturelles, notamment les institutions de l'Etat, le secteur privé, dont les sociétés d'assurances, quant à l'efficience discutable des mécanismes et outils établis à cet effet. Le cadre législatif régissant ce domaine, jusqu'à nos jours, empreint de moult confusions, ce qui favorise autant de dépassements que de signes de mauvaise gestion du territoire. Si les changements climatiques sont considérés comme étant responsables de l'accélération de la fréquence et de l'augmentation des catastrophes naturelles, l'œuvre de l'Homme s'avère être la source même de tant de désastres et de dégâts matériels et humains, pourtant évitables. M. Mongi Bourgou, universitaire et directeur général du Centre des publications universitaires ( CPU) a pleinement analysé l'impact de l'Homme sur l'intensité des inondations, qui représentent les premières catastrophes naturelles menaçant la Tunisie en général, et le Grand-Tunis, en particulier. En effet, les principales catastrophes naturelles qui toucheraient notre pays sont les inondations, les secousses sismiques et les tempêtes. Chapeautant la liste, les inondations reviennent, selon lui, à l'accaparement par l'Homme des voies d'eau. « Toute la région de Bousalem, par exemple, est construite sur une voie d'eau, ce qui constitue un risque évident pour ses habitants d'endurer l'impact catastrophique des inondations. Si les voies d'eau sont squattées par l'Homme, les cours d'eau s'acheminant depuis les montagnes ne trouveront d'autres issues que de submerger les habitations, d'où les inondations », a-t-il expliqué. Et d'ajouter qu'une bonne partie de Bousalem a été construite sur un méandre d'eau, resté longtemps inactif. « La municipalité a cru bon de vendre des lots de terrain pour logement. Résultat : le méandre avait repris sa fonctionnalité en 2003 et l'eau avait inondé les maisons », a-t-il rappelé. Mauvaise gestion du territoire Les exemples trahissant la mauvaise gestion du territoire, l'intrusion de l'urbanisation dans la nature, ainsi que l'état dégradé de l'infrastructure de base ne manquent pas. L'orateur a passé en revue autant d'incidents qui devraient inciter les responsables à réfléchir sur une stratégie apportant des solutions durables à ce problème que ce soit à court, à moyen ou à long termes. Pour le Pr Bourgou, les risques liés aux catastrophes naturelles révèlent les inégalités sociales et les discontinuités spatiales, trahissant aussi la non-maîtrise du secteur foncier. Aussi, a-t-il lancé un appel insistant pour la prise de mesures anticipatives, à même d'amortir les conséquences des catastrophes naturelles. Il a suggéré l'instauration d'un Code de protection contre les risques naturels, qui serait susceptible de combler les lacunes législatives. Il a rappelé que les risques liés aux catastrophes naturelles font partie de toute une culture, touchant à plusieurs domaines d'intervention, dont celui des assurances. Législation et confusions La mauvaise gestion du territoire revient, entre autres, à une législation mal fondée. En effet, le cadre juridique réglementant la gestion des catastrophes naturelles est placé, depuis 1906, sous le signe de la confusion, de l'imprécision, voire de la maladresse jusque dans les définitions. M. Issam Lahmar, juge et président de la cellule de criminologie au Centre d'études juridiques et judiciaires ( Cejj), a décortiqué le cadre juridique relatif aux catastrophes naturelles, faisant en ressortir toutes les fausses notes. La plus aberrante serait sans doute ce calquage inapproprié sur le modèle anglo-saxon, sans que ce dernier ait fait preuve d'efficacité. « Le modèle anglo-saxon est réputé pour ses textes juridiques exhaustifs ; un véritable chaos législatif qui enfonce le clou d'un système juridique spécifique et d'une vision juridique intégrale quasi absents », a-t-il indiqué. Si la gestion des catastrophes naturelles implique moult institutions, tous les textes de loi convergent, eux, vers deux axes essentiels : les avantages que peuvent en tirer les sinistrés et les conditions d'exemption de paiement des indemnités. Anticiper sur le pire Prenant la parole, Mme Lamia Ben Mahmoud, présidente directrice générale de Tunis réassurance, a expliqué la corrélation entre les changements climatiques et l'augmentation qualitative et quantitative des catastrophes naturelles, d'une part, et la nécessité, pour la Tunisie, d'adopter une stratégie intégrale pour la gestion des risques y référant d'autre part. Elle a rappelé que, selon les estimations internationales, les catastrophes naturelles augmenteraient en nombre et en intensité de 80% à l'horizon 2050. En effet, si les événements naturels se limitaient, il y a 20 ans, à 100 par an, ils seraient actuellement à une moyenne de 500 par an. Le niveau de la mer, quant à lui, se hisserait, de 50 centimètres d'ici quelques années. Par ailleurs, en ce qui concerne les répercussions des catastrophes naturelles sur l'économie mondiale, Mme Ben Mahmoud a avancé des chiffres atterrants. Ces phénomènes s'emparent de 25% des PIB. Les dégâts humains sont encore plus alarmants, soit 2,437 millions de décès dus aux inondations, 1,141 million de décès dus à la sécheresse, 600 mille aux tempêtes et 112 mille aux tremblements de terre. Les assurances ne couvrent, néanmoins, que 3% des dégâts dans les pays en développement et pas plus de 40% dans les pays développés. « Ce sont, donc, les pays les plus concernés et les moins couverts par les assurances qui sont en besoin d'instaurer un programme de sécurité d'assurances, et ce, dans le cadre d'une stratégie globale de gestion des risques », a-t-elle souligné. Place au régime d'indemnisation ! Ladite stratégie devrait inclure des mesures et des plans de réassurance, et ce, à court, moyen et à long termes. Mme Ben Mahmoud a recommandé la mise en place d'un dispositif d'alerte, la modélisation du risque, la création d'une base de données qualitative et quantitative au profit des assurances afin que celles-ci puissent appréhender leurs interventions. Outre les mesures d'urgence, des mesures structurelles s'imposent à moyen et à long termes, dont le renforcement de l'infrastructure de base et l'option pour de nouvelles normes de constructions afin que les nouvelles bâtisses puissent résister aux risques. L'optimisation du recours aux nouvelles technologies en matière de gestion, l'information et la sensibilisation du public et surtout des populations les plus à risques et l'amélioration du partenariat avec des instances internationales spécialisées en la matière constituent autant d'axes à développer afin de relever le défi. S'agissant du rôle des assurances, il n'en demeure pas moindre. Mme Ben Mahmoud recommande d'opter pour le régime d'indemnisation, sur fond de solidarité entre les assurés et d'obligation des assurances, tout en comptant sur l'infaillible intervention de l'Etat pour comblement de déficit si déficit il y a. Rappelant que l'Algérie, et depuis 2002, a opté pour ce régime. Le Maroc vient tout juste de le finaliser.