A la tombée de la nuit, le Samu social du Grand-Tunis se met à sillonner les rues pour venir en aide aux sans-domicile fixe On parle peu de ces personnes qui, pour une raison ou une autre, se trouvent en pleine saison hivernale dans la rue. On ignore aussi le laborieux travail des associations pour la prise en charge de cette catégorie vulnérable, dont le Samu social international en Tunisie qui soutient depuis 2017 le ministère des Affaires Sociales pour le développement du premier service public nocturne d'aide mobile d'urgence, le « Samu social du Grand-Tunis ». A la tombée de la nuit, ses équipes se mettent à sillonner les rues du Grand-Tunis pour venir en aide aux sans-abri. L'invitation nous a été adressée par Mme Bertille PISSAVY-YVERNAULT, représentante du Samu social international en Tunisie, pour participer à l'une de ses sorties nocturnes (ou maraudes) et constater de plus près la situation des sans-abri. Qui sont-ils, d'où viennent-ils et pourquoi se trouvent-ils dans la rue en pleine nuit et quels sont leurs besoins spécifiques ? On ne pouvait refuser cette aubaine. Lundi 17 décembre 2018. Il est 20h30, après une brève rencontre avec la représentante du Samu social au centre de la capitale, la maraude démarre pour réchauffer les cœurs des sans-abri. Mais avant de démarrer, une jeune femme s'approche des membres de l'équipe composée de Nawfel, l'accueillant social, qui fait aussi office de chauffeur, un infirmier relevant du ministère de la Santé, et un éducateur social. Ils la reconnaissent très vite, lui donnent à manger et à boire. Elle demande des chaussures. « Sans faute, tu les auras demain », lui répond gentiment Nawfel. Le minibus est chargé de nourritures, thermos de café, médicaments et couvertures pour les sans-abri. Il roule doucement dans les artères de la capitale qui commencent à se vider en raison du froid. Tunis by night, ce n'est pas seulement cette capitale avec son air calme et tranquille, inspirant la beauté du moment et ces restos et bars pour les couche-tard où on pourrait ressentir la saveur de la vie .C'est aussi ces loques humaines qui déambulent, ces gens qui se sont retrouvés, pour une raison ou une autre, dans la rue, ces jeunes femmes battues et renvoyées de leurs foyers, ne sachant où aller et où trouver refuge et qui risquent de tomber entre les mains des réseaux de prostitution avant d'être agressées sexuellement. C'est aussi ces pauvres gens qui n'ont plus d'abris et ne trouvent plus de moyens pour la survie. Tunis by night, c'est ce visage hideux qu'on ne risque jamais de découvrir ou plutôt la misère des autres qui se cache dans les antres de la nuit. Il n'y a pas une seule raison pour se retrouver dans la rue, nous confie Mme Bertille qui rappelle que le phénomène des sans-abri n'est pas propre à notre pays mais touche quasiment les quatre coins du monde. Elle ajoute que les mineurs sont protégés par une panoplie de lois en Tunisie, ce qui explique que cette catégorie ne passe pas beaucoup de temps dans la rue (du moins durant la nuit). « On rencontre des femmes en situation de conflit ou vivant dans une extrême précarité, des femmes célibataires en situation de grossesse, d'autres qui sont victimes de violence conjugale ou en situation de rupture avec la famille », fait-elle savoir. Une fois on a trouvé une femme âgée à La Marsa qui dormait dans la rue avec, pour seule arme, une pierre dans la main pour se défendre. Des personnes en situation de handicap dans la rue A la Place Barcelone, Nawfel regarde à gauche et à droite à travers les vitres du véhicule et très vite il reconnait Faïza (nom d'emprunt) qui peine à marcher avec un déambulateur walker pour les personnes en situation de handicap. Dieu merci, l'équipe était là car la jeune fille en question avait besoin d'être transportée de toute urgence à l'hôpital pour se faire examiner. Chemin faisant, on nous explique qu'elle a subi des violences et des agressions sexuelles quand elle était plus jeune et elle a dû subir une trachéostomie pour l'aider à respirer convenablement à l'aide d'une canule. Faïza est soulagée à la vue des membres de l'équipe et elle se sent en sécurité. On prend très vite la direction de l'hôpital La Rabta où elle fait l'objet d'un suivi médical .Un quart d'heure après, elle quitte les services de l'urgence, l'air bien en forme. « On ne va pas la laisser dans la rue pour cette nuit, elle va être accueillie au Centre d'encadrement et d'orientation sociale», nous affirme Nawfel avant de nous raconter la pénible histoire de Faïza. Elle n'était qu'un enfant quand elle a atterri dans ce centre. Elle était orpheline et se portait bien. Après son adoption, elle a bien vécu sa vie mais elle s'est malheureusement retrouvée dans la rue suite au décès de ses parents adoptifs avec toutes les incidences fâcheuses qu'on pourrait imaginer. On nous explique à la fin qu'elle fait toujours l'objet d'un suivi médical et d'assistance sociale. A proximité des services des urgences de l'hôpital La Rabta, le ballet des voitures des urgences relevant de la Protection civile et du ministère de la Santé et l'effervescence des patients contrastent avec le silence des artères qu'on a traversées. Des sans-abri se pressent et viennent à la rencontre de l'équipe. Ils sont bien servis, (nourriture, café, couvertures et même des chaussures). L'un d'eux demande à Nawfel discrètement s'il peut avoir une cigarette. La réponse est catégorique : « On ne donne pas de cigarettes, c'est nocif pour la santé », réplique ce dernier. Les demandes se poursuivent et une autre dame sexagénaire demande de l'aider à présenter une demande de carte d'identité nationale. « Je n'ai pas d'abri, comment dois-je faire». Nawfel (toujours lui) intervient et lui conseille de prendre contact avec le centre en vue de l'aider. Tout près du lit de fortune fait avec des cartons et où la dame passe sa nuit, un gros rat s'affiche sans gêne. « Il ne faut pas s'inquiéter », nous dit-elle, « il est juste à la recherche de nourriture ». A la Place Belvédère, l'équipe identifie un autre sans-abri et lui donne à manger. Lui aussi, il a besoin d'une carte d'identité nationale. L'équipe l'informe qu'il doit prendre contact avec le Centre. « Ton ami il est passé où ? Il est malade et il doit se faire soigner», lui fait savoir l'infirmier. « Je ne sais pas, oui la santé c'est la chose la plus importante dans la vie », répond, en français, le vieil homme. Des femmes dans la rue Les lieux des sans-abri sont comme cartographiés dans la mémoire des membres de l'équipe qui se dirigent tout de suite après vers la mosquée El-Fath. Les sans-abris surgissent à la vue du minibus et Chedly appelle Marwa (nom d'emprunt) pour lui donner la paire de chaussures qu'elle a demandée la veille .On lui donne aussi des chaussettes. Marwa ne trouve pas les mots pour les remercier. Elle retrouve calmement ses chats qu'elle a laissés pour un petit moment dans son abri de fortune, fait de cartons. Asma (nom d'emprunt), la trentaine bien sonnée, avance vers les membres de l'équipe avec lesquels elle s'est liée d'amitié, les cheveux ornés de tresses africaines, le sourire aux lèvres et la voix enjouée, comme si elle vivait dans un autre monde. Après avoir eu son autorisation et celle de l'équipe du Samu social, on a pu converser avec cette jeune femme au corps chétif. Elle ne trouve aucun mal à parler. « Vous pouvez me prendre en photo si vous voulez. Vous savez, je suis déjà passée à la télé sans cacher mon visage», nous informe-t-elle. Asma est divorcée et mère de deux enfants. Elle s'est retrouvée dans la rue en raison de troubles mentaux. Non loin de Asma, Khaled(nom d'emprunt) veut que l' infirmier lui fasse panser une plaie qui n'existe pourtant pas. Il souffre lui aussi de troubles mentaux. L'infirmier sourit gentiment mais l'emmène quand même à l'intérieur du minibus pour lui donner les soins nécessaires. On laisse Marwa, Asma, Khaled et d'autres sans-abri à proximité de la mosquée, plongés dans leurs soucis de passer une nuit sans problèmes. La maraude est terminée pour nous, mais pas pour les membres de l'équipe du Samu social qui doivent être présents dans les moments de grande angoisse, c'est-à-dire la nuit, nous souligne Mme Bertille. Les membres du Samu social continueront leur tournée nocturne jusqu'à l'aube, armés qu'ils sont de bonne volonté. Ils sont comme ses phares dans la sombre et longue nuit des sans-abri.