Hier, dans la capitale, quelque chose a changé : les drapeaux des partis politiques et autres banderoles ont ravi la vedette au drapeau national. Ce fut un jour de fête pour les uns et un jour pour l'évaluation pour bien d'autres, non satisfaits du bilan post-révolution. Les slogans changeaient d'un camp à l'autre Des milliers de personnes se sont rassemblées hier sur l'avenue Habib-Bourguiba pour célébrer, sous une forte présence sécuritaire, le huitième anniversaire de la révolution. L'avenue a offert à cette occasion un beau tableau traduisant cette diversité politique et cette liberté d'expression glanée au prix de tant de combats, d'efforts et de sacrifices. Huit ans après, que d'acquis en matière de liberté et de défis qui sont à relever su le plan socioéconomique. Travail, liberté et dignité scandaient à l'unisson les manifestants venus de toutes les régions du pays un certain 14 janvier 2011 devant le siège du ministère de l'Intérieur. Hier, dans la capitale, quelque chose a changé : les drapeaux des partis politiques et autres banderoles ont ravi la vedette au drapeau national. Les mécontents ont aussi fait entendre leurs voix. Satisfaction chez les uns, grogne chez les autres La fête était totale hier dans la capitale qui s'est drapée de banderoles des partis politiques et de certaines composantes de la société civile. Un jour de fête pour les uns, un jour pour l'évaluation pour bien d'autres partis non satisfaits du bilan post-révolution. Les slogans changeaient d'un camp à l'autre. « A bas l'obscurantisme », « Le pays n'est pas à vendre », « Belaid repose en paix, la lutte continue », scandaient les partisans du Front populaire. Les Nahdhaouis ne sont pas du même avis. Ils répondent à ces slogans par des chants engagés. « On est des Tunisiens à part entière, vive la Tunisie », crie dans le micro l'une des adhérentes de ce parti. Le ton monte d'un cran entre les partisans des deux camps mais les unités de police sont sur les lieux et ont bien fait de séparer les deux parties par un imposant dispositif de sécurité. Un clash par slogans interposés qui en dit long sur l'ambiance politique d'aujourd'hui. « Les jeunes, notamment dans les régions intérieures, qui ont été à l'origine de cette révolution se trouvent aujourd'hui choqués et déçus », déclare à La Presse Abdelmajid Belaïd, le frère du martyr Chokri Belaïd. Ce sont les obscurantistes qui n'ont jamais contribué à la révolution qui en profitent le plus, ajoute-t-il. « Huit ans après la fuite de Ben Ali, le pays est au bord de la faillite et la situation sécuritaire est très grave avec les dernières révélations sur l'existence d'une organisation secrète relevant d'un parti politique qui veut s'approprier le pays », selon ses dires. Il a appelé les forces progressistes à s'unir et à « affronter les ennemis du peuple et qui sont au pouvoir depuis 2011 ». Certains rêvent encore du Califat Du côté du Parti républicain, les slogans sont plus contestataires. Une centaine de partisans ont défilé dans les artères de la capitale arborant des banderoles qui rappellent que la révolution n'est pas achevée, et qu'il faut rester fidèles aux martyrs et s'opposer aux obscurantistes. Mais à quelques mètres de la place de l'Indépendance, on n'est pas du même avis, d'autres rêvent encore du Califat, d'un islam rétro. Ce sont les partisans du Hezb Etahrir. Ils étaient une cinquantaine d'adeptes bien encadrés par les unités sécuritaires à brandir le drapeau noir et à crier « Takbir, Takbir » devant des passants médusés. Il va sans dire qu'en ce jour de fête, tout le monde n'est pas satisfait du bilan. On pointe du doigt surtout les carences sur le plan économique. Badra Hammami, représentante du parti politique « La Tunisie en avant », fondée par Abid Briki, fait partie de ce camp. Elle a appelé les forces vives à s'opposer à la politique actuelle du gouvernement qui tend à appauvrir encore plus le peuple. Elle a ajouté que rien n'a été réalisé huit ans après la révolution comme en témoignent la cherté de la vie et le taux de chômage qui ne cesse de grimper. Le pays ne progresse pas depuis 2011 et il est impératif de mettre en œuvre un nouveau programme social dans le cadre d'un gouvernement national à même de réaliser les attentes du peuple. Ne pas perdre espoir Les critiques à l'égard de ce grand retard pris sur le plan économique sont presque sur toutes les langues ; certains pensent qu'il faut persévérer dans le travail. Chokri Laabidi, du parti Ennahdha, cadre dans une banque, la quarantaine bien sonnée, a tenu à féliciter le pays à cette occasion synonyme de fête pour tous les Tunisiens. « Il y a eu des acquis en matière de libertés individuelles et collectives mais des défis restent à relever sur le plan économique et je pense que le pays est capable de dépasser ce cap difficile par le biais du travail et le consensus politique », a-t-il témoigné. Kamel est venu spécialement du gouvernorat de Monastir pour assister aux festivités, accompagné de ses enfants. « La commémoration de la révolution représente un grand événement pour moi en dépit des critiques émanant de la majorité du peuple concernant les difficultés économiques », nous confie-t-il. Et d'ajouter : « Je crois que l'acquisition de notre liberté n'a pas de prix. Un peu de patience et le pays retrouvera la paix sociale ». Sa petite fille Cheyma, née après la révolution, ne connaît rien de l'époque de Ben Ali mais elle est très heureuse de se trouver à Tunis pour assister aux festivités. On lui demande « c'est quoi la révolution? ». C'est une fête », nous répond-elle. Sa sœur Nada, âgée de 15 ans, aborde le sujet de la révolution avec plus de sérieux. « Il y a eu des changements et plus de liberté dans le pays », nous déclare-t-elle. L'ombre de Nadhir et Sofiane dans les rues de Tunis Si la révolution a fait bien des heureux, il n'en est pas de même pour Sonia Rejeb, mère de Nadhir Ktari, qu'on a rencontrée seule dans les rues de la capitale, brandissant une pancarte concernant Nadhir et Sofiane portés disparus en Libye depuis le début du mois de septembre 2014. « Les Tunisiens se sont révoltés pour la dignité, la liberté et le travail, mais tous les gouvernements n'ont pas pu concrétiser ces objectifs. Elle est où la liberté de Nadhir et Sofiane qui représentent le quatrième pouvoir dans ce pays, où sont-ils ces deux journalistes actuellement ? Quels sont les efforts déployés par l'Etat pour élucider cette affaire ? Rien n'a été fait dans cette affaire et les décideurs politiques sont beaucoup plus préoccupés par les prochaines échéances électorales », conclut-elle.