Par Soufiane BEN FARHAT Un véritable carnage la semaine dernière en Irak lors de l'attaque de la cathédrale syriaque catholique de Bagdad. Pas moins de 44 fidèles et deux prêtres y ont péri. Ajoutons-y sept membres des forces de sécurité et cinq assaillants en plus d'une soixantaine de blessés. L'horreur a, elle aussi, ses tristes records : "C'est l'attaque la plus horrible et la plus spectaculaire qui ait jamais été portée contre les chrétiens irakiens, présents en Mésopotamie depuis deux mille ans. Ils furent longtemps nombreux : jusqu'au tiers de la population irakienne, selon certaines sources religieuses. Sous le laïque Saddam Hussein…les chrétiens étaient estimés. Tarek Aziz, le ministre des Affaires étrangères du raïs, condamné à mort le 26 octobre, est chrétien. Souvent bien éduqués, ils étaient présents dans les milieux d'affaires et les professions libérales. A Bagdad, 35% des ingénieurs et 40% des médecins appartiendraient encore à l'une ou l'autre des communautés chrétiennes du pays", souscrit la journaliste de Le Point. Les rangs de l'importante communauté des chrétiens d'Irak se font de plus en plus clairsemés. L'Irak est un pays de forte tradition biblique et monothéiste. Et pour cause, c'est le pays d'Abraham, né à Ur, avant de s'installer en Palestine. Abraham est considéré comme l'ancêtre des peuples hébreux et arabes, ainsi que le père du monothéisme. Tout au long du XXe siècle, le nationalisme arabe, volontiers laïque et ne s'identifiant guère au seul Islam, a protégé les chrétiens d'Orient. Tel fut le cas des partis arabes de mouvance nationaliste et socialisante (y compris le Baâth, fondé par le chrétien syrien Michel Aflaq). Depuis l'irruption conflictuelle, au cours des deux dernières décennies, des néoconservateurs américains et des mouvances islamistes fondamentalistes, la vapeur est renversée. De l'avis de tous les observateurs, le grand départ des chrétiens d'Irak a commencé en 2003. C'est-à-dire suite au renversement du régime baâthiste de Saddam Hussein et à l'occupation américaine de l'Irak. Les effectifs de la communauté des chrétiens d'Irak ont fondu de 50 % ces sept dernières années. Ils ne seraient plus que 250.000 à 400.000 personnes (moins de 3 % de la population) selon l'enquête de Mireille Duteuil du Point. Et ce ne sont pas les facilités accordées aux chrétiens d'Irak en vue de s'expatrier qui facilitent la chose. Le 1er novembre 2010, l'Elysée a offert l'asile à cent cinquante Irakiens présumés blessés dans le carnage de la cathédrale syriaque catholique de Bagdad. La hiérarchie catholique d'Irak fronce les sourcils. "Nous sommes fiers que le Quai d'Orsay se fasse le défenseur des chrétiens d'Orient, mais on doit constater que cette politique favorise leur départ d'Irak. On peut craindre que toute la communauté chrétienne de ce pays ne parte", annonce un haut dignitaire de l'Eglise. Philippe Khoshaba, dominicain irakien, professeur à Bagdad, est catégorique : "Dans dix ou quinze ans, il risque de ne plus y avoir de chrétiens en Irak et ce sera la mort de cette pensée différente qui existait dans un grand pays du Moyen-Orient. Or les chrétiens ont un rôle à jouer dans la reconstruction de l'identité irakienne" (voir "Ces chrétiens d'Irak que les islamistes veulent chasser" in Le Point, 8/11/2010). Voilà où en sont désormais les choses. L'occupation de l'Irak par les troupes américaines – et ses effets éminemment pervers — n'en finit pas de violenter en profondeur la société irakienne. L'incroyable détresse de la communauté chrétienne d'Irak en est témoin. L'identité de l'Irak ainsi que son légendaire exemple de la coexistence pacifique entre communautés et confessions en pâtissent. N'oublions guère qu'avant 2003, on n'a jamais entendu parler d'affrontements entre les Chiites et les Sunnites d'Irak, d'expéditions sanglantes ou d'attentats meurtriers des uns contre les autres. Ce n'est plus le cas hélas. Et même intra-muros, à l'intérieur de chaque communauté prise à part, les choses vont de mal en pis. Le meilleur exemple en est celui des Chiites. Leurs partis ayant remporté les élections législatives de mars dernier, leurs différends ont coûté jusqu'ici au pays pas moins de huit mois de paralysie institutionnelle. Et dire que les Américains s'ingénient toujours à accroire que l'Irak est l'exemple à suivre, de l'Indonésie jusqu'au Maroc !