Le Centre culturel russe abrite, depuis quelques jours, une exposition fort originale. Il s'agit de plaquettes de bois enduites de cire sur lesquelles l'artiste a écrit et dessiné. Le métier de cet artisan, Othman Khadhraoui, lui a été transmis par ses aînés, voilà plus d'un demi-siècle. Le support sur lequel est exécuté le travail est la «lawha», une plaquette fabriquée dans une matière noble, le «safsaf» ou faux peuplier, appelé également tremble, qui pousse sur les rives des oueds. Son bois blanc et tendre fournit aussi de la pâte à papier. Khadhraoui, à 75 ans, vit encore de son art. Sa clientèle est principalement européenne. Ses œuvres figurent en bonne place dans les éditions culturelles occidentales. Il en est fier et éprouve une profonde satisfaction à vous les montrer. Le monde de cet artiste tourne autour du hammam (le bain maure) et le kouttab, des «crèches» coraniques avant l'heure où les enfants étaient gardés. Ils en profitaient pour apprendre des versets du Coran et écrire à l'aide d'un roseau sur des plaquettes des sourates entières. Ces plaquettes étaient enluminées d'éléments floraux et végétaux vivement colorés et très stylisés. Selon toute vraisemblance, l'image ou la représentation mentale du hammam joue un rôle déterminant dans le psychisme de l'artiste, au point de l'obsession. Toutes les attitudes et les postures des corps féminins dans leur nudité sont reproduites et restituées avec une extraordinaire précision. L'émotion n'est pas absente, puisque cette peinture est pratiquée avec naturel, spontanéité et sincérité, ne prétendant en aucune manière à l'art savant. L'autre sujet de prédilection ou le thème préféré, c'est évidemment le kouttab avec les incontournables scènes du «meddeb» chargé de l'instruction religieuse des petits, assis à même le sol et en tailleur au milieu du cercle d'enfants vêtus à l'ancienne mode, ou alors la séance de la «falqa» et la volée de coups de bâton appliqués sur la plante des pieds. L'originalité de ces œuvres réside dans l'art de combiner la peinture sous verre à l'intérieur des plaquettes. Khadhraoui a incorporé le verre en le mêlant intimement et en l'intégrant à la peinture sur bois. Le résultat est tout simplement surprenant. L'image d'Epinal de Ali avec son fameux sabre foudroyant les idolâtres mecquois, de Abouzid Hilali et de la belle Jazia à la longue chevelure d'ébène, du sacrifice d'Abraham, premier patriarche de la Bible; enfin, toutes les représentations naïves et simplistes d'événements presque magiques qui ont marqué des générations d'enfants sont là. L'exposition de Othman Khadhraoui est à visiter rien que pour le plaisir de poursuivre, les yeux ouverts, le rêve féérique de l'enfance. ------------------------------------------------------------------------ *L'exposition de Othman Khadhraoui se poursuivra au Centre culturel russe jusqu'au 31 décembre