Au-delà de la compétition et des spectacles et des performances parallèles que les premières Journées musicales de Carthage ont proposés, ce sont les rencontres off entre artistes arabes et tunisiens qu'elle ont provoquées, qui ont donné du piment à cette session et qui vont peut- être aboutir à l'émergence de quelques projets et d'une autre chanson arabe. Nous avons été témoins d'au moins une prémisse sérieuse. Mais revenons d'abord au jury et à son verdict. Discrétion et objectivité Il était clair que par son choix des membres du jury, aussi bien pour le luth que pour les pièces instrumentales et les chansons, la direction des JMC a cherché la compétence et la crédibilité. Et elle a vu juste. De plus, vu leur nom, leur rayonnement et leur poids, pour la plupart, l'idée qu'ils aient pu être influencés ou qu'ils aient accepté des «directives» — ce qui arrive souvent, sous d'autres cieux —, ne nous effleure même pas. Aussi, leurs décisions sont-elles venues conformes à la logique et ont-elles primé les meilleurs, même si elles furent difficiles à prendre pour la compétition du luth, où le niveau des neuf candidats s'est situé quasiment au même palier. Nassir Chamma, le président du jury, l'a, d'ailleurs, souligné : «Nous aurions voulu primer tous les postulants, tant ils le méritaient». Et qu'on ait distingué quatre (deux ex aequo pour les premier et deuxième prix) le prouve bien. Nous ne manquerons pas ici de saluer la discrétion absolue qui a caractérisé les réunions et les délibérations du jury. Aucune information n'a filtré jusqu'à la fermeture des portes du Théâtre municipal, la soirée de clôture, ce qui a permis un bon déroulement du programme. Certes, il n'est pas de palmarès, ni de verdict, qui fasse à 100% l'unanimité, mais nous pouvons affirmer, au risque de nous répéter, que les primés n'ont pas «volé» leurs lauriers. Les JMC ont marqué, sur ce plan, un point supplémentaire. Le cas Maherzia Touil Et comme nous le disions plus haut, cette première session a engendré des rencontres entre musiciens tunisiens et leurs homologues invités du monde arabe et d'ailleurs. Ces derniers, qui sont, dans leur majorité, favorables à la réémergence d'une musique et d'une chanson de qualité, susceptible de contrer la vague dominante de ces temps modernes (la chababiya) ont eu l'occasion de découvrir, notamment en off de découvrir des talents et des possibilités en Tunisie, qu'ils ne soupçonnaient pas et qui les ont enthousiasmés. En fin de soirée, des veillées musicales s'improvisaient dans le hall de l'hôtel ou dans la chambre de cet invité ou de cet autre, où l'on discutait, écoutait et même montait des projets arabo- tunisiens. Plus que la rumeur (ou l'information réelle) d'un duo en gestation ou d'une éventuelle collaboration du maître Lotfi Bouchnaq avec l'Algérienne Folla Ababssia et avec d'autres noms par exemple, c'est Maherzia Touil qu'on connaît à travers la Rachidia depuis 1994, et dont on n'a cessé de dire du bien, qui a tiré du concret de ces rencontres. Par sa voix et son timbre exquis qui ont enchanté les Nassir Chamma, Salah Charnoubi, Abdelwahab Doukali… et le Syrien Hassine Sabsabi, elle a capté l'intérêt de beaucoup d'invités qui s'arrachaient les sièges de la réception de l'hôtel pour écouter ses improvisations et les airs tunisiens et orientaux dont un extraordinaire prélude développé de sa propre composition qu'elle leur offrait. Mieux, elle a tellement bien chanté qu'elle a inspiré Sabsabi qui a mis en musique, à son intention, un fort beau poème de Chedli Garouachi qui commence par «Kam kana al'laylou batian fi aynaï» (Que la nuit était lente à mes yeux). Une romance que nous avons eu la primeur d'écouter qui a, d'ores et déjà, recueilli l'appréciation d'invités de marque et dont on parlera, surtout après l'arrangement musical. En tout cas, dans le genre tarabi, elle contient cette touche moderne qui n'enlève rien à la classe du classique. D'ailleurs, on se demande pourquoi et comment la Rachidia a occulté pour sa tentative de redécollage, un tel talent… une valeur aussi sûre. Mais peut-être qu'à malheur quelque chose est bon, puisque, ce faisant, on l'incitera à prendre en charge sa carrière et à gagner le statut qui doit être le sien, celui d'une vraie grande cantatrice. En tout cas, les Journées musicales de Carthage sont appelées à continuer sur la voie de la qualité, côté invités, ceux porteurs de projets et de rayonnement. Elles seront, nous le souhaitons, l'une des tribunes d'où la lumière d'une autre chanson jaillira.