Il fallait toute la sensibilité de Jacques Perez, son regard affuté, son amour profond de la Médina, pour mettre ses pas dans les traces d'Alexandre Roubtzoff. Et pour retrouver les chemins de promenade de cet extraordinaire témoin de la vie tunisienne que fut ce peintre russe venu du froid, conquis par la lumière de notre pays. Alexandre Roubtzoff, qui signait Iskander Roubtzoff, en marque d'allégeance à ce pays de cœur qu'il s'était offert, avait choisi cet autre versant de l'univers pour s'y installer, y vivre, y travailler, et plus tard, y mourir. «Je pars à Tunis pour quelques mois seulement, et j'y reste toute ma vie», s'étonnera Alexandre Roubtzoff Pour ce regard venu d'ailleurs, et vite conquis, Tunis constitua le premier champ d'investigation : les vieilles rues, les placettes, les cafés qu'il s'empressait de reproduire dans ses carnets, avant «la déroute du pittoresque», selon le mot de Pierre Dumas. «Petit à petit, dans la ville arabe, les vieilles maisons tombent en ruine, le ciment armé et le béton de plus en plus, envahissent et encombrent Tunis, et ses environs. Les intérieurs des cafés arabes sont profanés par le scintillement et le sifflement des percolateurs qui ont remplacé les anciens foyers remplis de cendres, où le cafetier enfouissait jusqu'à la braise rosée ses minuscules cafetières de fer blanc en forme de cône tronqué, munies d'un manche long d'un demi-mètre.» Jacques Perez a eu le génie, la sensibilité et le talent de nous offrir ce Tunis à trois regards, à trois approches: celui de Roubtzoff qu'il place en contrepoint, en repères, celui de Jamila Binous, dont on sait qu'elle est la clef la plus érudite de Tunis. Et la sienne enfin, celle de ce photographe au regard buissonnier, qui, durant une vie entière, a passionnément aimé et capté la vie tunisienne. C'est donc un livre remarquablement construit, qui, tout en respectant le format adopté de Dunes Editions, réussit à être un beau livre avec tous les attributs des livres d'art. L'Histoire de la Tunisie y est présentée de façon documentée et attrayante. Puis, c'est à une promenade, de palais en demeures, de torbas en mosquées, de places en cafés, de quartiers en ruelles, et de souks en faubourgs à laquelle nous convie Jacques Perez, et à laquelle on se prête avec un plaisir sans partage. On ne dira pas assez le charme de cette collection de livres que distille Jacques Perez, nous faisant partager ses coups de cœur, et nous en promettant de nouveaux à venir. A paraître, Les costumes féminins de Tunisie, Les trésors de Carthage, Le Grand Sud, Les Cités de Marbre et Kairouan…