Par Pr Taoufik BOUACHBA(*) La Révolution tunisienne menée et réalisée par la masse des déshérités qui se sont soulevés essentiellement dans un certain nombre de régions défavorisées, a permis de mettre à nu le lourd dossier de la corruption impliquant le président déchu, son épouse et un nombre indéterminé de leurs proches. Le dossier de la corruption ne s'arrête certainement pas à ce cercle essentiel et qui se situe à un niveau tout à fait supérieur. La corruption est malheureusement un phénomène qui s'est largement étendu dans la société tunisienne, en dehors même du «cercle du pouvoir», au point qu'il est devenu l'un des problèmes majeurs, ou tout au moins inquiétants, de la société tunisienne. Il est toujours possible de parer à un tel phénomène et de le réduire à une proportion tout à fait minime. Pour cela, ce qu'il faut instaurer c'est fondamentalement la bonne gouvernance dans toutes ses dimensions et un Etat de droit qui ne soit pas uniquement érigé comme principe, mais instauré d'une façon effective. Avec une démocratie largement pluraliste aidant, il sera possible de réduire le phénomène de la corruption à sa plus simple expression. Pour revenir à la Révolution tunisienne dans son rapport à la question de la corruption, le plus urgent c'est de remettre au peuple, à la collectivité nationale, les biens de toute nature qui lui ont été spoliés, qui ont été obtenus ou accumulés par l'ex-couple présidentiel et leurs proches en recourant aux différents types de corruption. Car il n'y a pas un type unique de corruption. Celle-ci correspond, en réalité, à une panoplie de pratiques et d'agissements qui transgressent les règles de l'Etat de droit et qui constituent une violation incontestable de l'Etat de droit. Ainsi, font partie de la notion juridique de corruption non seulement des pratiques telles que la concussion ou les «pots-de-vin», les «dessous de table», mais aussi le trafic d'influence, l'enrichissement illicite, les abus de fonction, la soustraction ainsi que le détournement ou autre usage illicite de biens par un agent public, sans oublier que la corruption lato sensu concerne aussi bien le secteur public que le secteur privé. En rapport avec la Révolution tunisienne, le plus urgent, aujourd'hui, c'est d'engager le processus et les procédures de nature à permettre la restitution, dans la plus large mesure possible, des avoirs ou bien tirés de la corruption sous toutes ses formes, y compris le recours au blanchiment d'argent, et se trouvant maintenant dans des comptes bancaires, dans des entreprises, ou comme biens immobiliers à l'étranger. De tels avoirs ou biens «mis» ou placés à l'étranger par l'ex-couple présidentiel et leurs proches doivent être restitués à la collectivité nationale. Pour la précision juridique il s'agit d'œuvrer pour la restitution de tous les types d'avoirs, corporels ou incorporels, meubles ou immeubles, tangibles ou intangibles, ainsi que les actes juridiques ou documents relatifs à la propriété des avoirs en question. Nous pouvons nous réjouir du fait que nombre de pays occidentaux n'ont pas hésité à prendre des initiatives fort louables dans une telle direction. On peut citer à cet égard des pays tels que la France, la Suisse, l'Autriche et d'une manière générale les pays de l'Union européenne. Tous ces pays et d'autres vont certainement suivre et ont déjà pris certaines mesures, notamment le gel des avoirs bancaires déposés ou inscrits au nom du président déchu, de son épouse voire d'un certain nombre de leurs proches. Il se trouve que tous ces pays correspondent à des Etats parties à la convention des Nations unies contre la corruption (appelée également «Convention de Mérida») adoptée en 2003 et entrée récemment en vigueur. Et il importe de rappeler ici que la Tunisie est également partie à une telle convention de caractère universel. Il convient donc de mettre à profit, tant par l'actuel gouvernement tunisien comme gouvernement provisoire d'union nationale, que par le gouvernement qui sera installé après les futures élections une telle convention et d'œuvrer pour sa mise en œuvre afin de parvenir au recouvrement des avoirs en question et qui se trouvent actuellement à l'étranger. Mettre à profit la convention des Nations unies contre la corruption, c'est agir afin que soient mises en œuvre sur la base de la coopération internationale prônée par la convention et érigée en obligation internationale pour les Etats parties, les dispositions relatives au recouvrement des avoirs tirés de la corruption sous toutes ses formes et se trouvant, comme indiqué plus haut, à l'étranger. Plus précisément, il s'agit d'agir afin de mettre en œuvre les dispositions du chapitre V de ladite convention consacré au «recouvrement d'avoirs», chapitre dont l'article 51 indique bien, à l'attention des Etats, que «la restitution d'avoirs (…) est un principe fondamental de la présente convention, et les Etats parties s'accordent mutuellement la coopération et l'assistance la plus étendue à cet égard». Il est alors impératif de mettre à profit une telle convention qui constitue une précieuse opportunité et un précieux instrument pour la Révolution tunisienne qui est une révolution pour la dignité, la liberté, la démocratie, la bonne gouvernance et l'Etat de droit, de même que c'est une révolution contre la corruption. (*) Professeur de droit, avocat près la Cour de cassation