Par Jawhar CHATTY C'est un manifeste politique de 718 mots. C'est peut-être court mais la concision est une vertu dont savent se prévaloir, user et tirer profit les diplomates. Le ton de la mesure aussi qui n'exclut cependant guère quelques envolées lyriques, rien que par souci de conférer au propos une certaine chaleur conviviale. Un manifeste dont le nouvel ambassadeur d'Allemagne en Tunisie a fait lecture à ses hôtes de l'ANC et du gouvernement et à ses « amis » Tunisiens à l'occasion de la célébration, le 3 octobre 2012, de la journée de l'Unité allemande. «Cette Journée de l'Unité allemande marque l'aboutissement de notre révolution à nous – quand dans cette nuit du 9 novembre 1989, des femmes et des hommes de l'Allemagne de l'Est se sont soulevés contre le joug de la dictature communiste. Dans leurs cœurs, eux aussi, ils portaient le « dégage » que vous connaissez bien – mais sur leurs lèvres ils avaient leur propre cri de rassemblement: «Wir sind ein Volk !» – nous sommes un seul peuple!». Tout est là dit ou presque sur cet immuable instinct collectif et commun à tous les peuples et qui fait qu'à un moment de leur histoire, les peuples se réveillent et se révoltent. Mais il est des parallèles et des comparaisons qui ne résistent pas à l'épreuve de l'Histoire. Le parallèle que semble chercher à faire le discours de l'ambassadeur allemand entre la révolution allemande et la révolution tunisienne est l'expression d'un optimisme non feint mais ce parallèle qui est fait entre la manière avec laquelle les périodes post-révolutionnaires respectives ont été et sont gérées nous paraît fort discutable ! Oui, la soif de liberté est la même. De la même intensité peut-être, cet insoutenable désir de liberté est sans doute ce qui a respectivement animé le peuple tunisien et le peuple allemand à déclarer leur révolution du 14 janvier 2011 et à faire chuter le mur de Berlin et sceller, 22 ans plutôt, l'unité allemande. Mais c'est uni que le peuple tunisien s'est élevé contre la dictature et que cette unité n'a jamais et à aucun moment cette unité n'a été remise en question. La Tunisie n'est à cet égard pas l'Allemagne de l'époque puisque c'est la nation Tunisie dans tous ses attributs qui s'était soulevée contre l'arbitraire et la dictature. La Tunisie n'est pas non plus l'Allemagne post-réunification. Le soutien et l'accompagnement qui a été fait par la communauté internationale des périodes post-révolution des deux pays sont sans aucune mesure. Passés les élans et les vagues d'enthousiasmes manifestés dans le monde pour la révolution tunisienne, la Tunisie post-révolutionnaire donne aujourd'hui, en cette période critique de sa transition, l'impression d'être livrée à elle-même, devant seule faire face à d'épineux problèmes de développement au risque d'un nouveau dérapage sécuritaire et d'une nouvelle instabilité sociale et politique. Les promesses d'un plan Marshall pour la Tunisie et les promesses des pays du G8 n'ont jamais à ce titre dépassé le stade des promesses et des bonnes intentions ! En revanche, «la transition» post-révolutionnaire allemande qui n'en était pas une à dire vrai, n'avait pas souffert d'une aussi manifeste parcimonie. Du moins, elle n'a pas à ses débuts connu les mêmes contraintes que connaît aujourd'hui le processus de transition en Tunisie. A peine une année après la chute du mur de Berlin, la réunification allemande s'est imposée comme une nouvelle réalité du paysage politique, économique et stratégique du continent européen. Avec la bénédiction sinon le soutien actif (financier et logistique) de l'empire soviétique en fission, des Etats Unis d'Amérique et des principales capitales européennes demeurées un temps assez craintives à la perspective de la résurgence d'un nouveau géant allemand. A telle enseigne que peu de temps après, à Maastricht, l'Allemagne réunifiée devait faire «bon cœur contre mauvaise fortune» et accepter de troquer son impérial deutsche mark contre une hypothétique monnaie unique, l'euro. Elle est désormais la force de frappe économique de l'Europe et son porte-parole politique. La Tunisie n'est pas l'Allemagne réunifiée. Celle-ci a tout de même hérité du formidable arsenal militaire, technologique, industriel et de savoir-faire de l'Allemagne de l'Est. Elle n'avait pas non plus à se poser trop de questions d'ordre constitutionnel et institutionnel. La machine était déjà en marche, il suffisait tout au plus de rapprocher «deux cultures» scindées par les affres de l'Histoire. Tout à son mérite, l'ambassadeur d'Allemagne en Tunisie a tenu à l'égard de notre élite politique un discours gratifiant. La question reste toutefois de savoir comment ce discours et ce manifeste politique ont été interprétés par l'élite politique tunisienne.