Par Arfaoui Souhaïl L'immolation par le feu de Mohamed Bouazizi a été le point de départ d'un soulèvement populaire parti de Sidi Bouzid avant d'atteindre toutes les régions de la Tunisie. Le soulèvement marquait le ras-le-bol des régions défavorisés et laissées-pour-compte par un régime qui n'avait pas su répartir équitablement les richesse produites par l'effort national. En effet, ces régions du Sud, du Centre-Ouest et du Nord-Ouest n'ont pas été touchées par le développement pensé et planifier par l'Etat et dont le processus mis en œuvre depuis les années 1980 n'avait touché que l'Est du pays. Les régions oubliées et marginalisées de ce processus du développement avaient souffert de la pauvreté et du chômage, deux facteurs qui ont joué un rôle primordial et essentiel dans le soulèvement de ces régions aspirant à une vie meilleure soutenue par un développement équitable. Ce sentiment d'injustice et d'inégalité des chances suscité par une catégorie de gens affichant des signes extérieurs de richesse sans commune mesure avec la misère dans laquelle vivotent les gens oubliés. L'intériorisation faite par les individus des effets d'inégalité et d'injustice avait joué en fin de compte dans l'explosion sociale, d'abord par l'immolation par le feu ensuite par cette révolution qui a réussi à ébranler le régime dans un premier temps et à le balayer ensuite. L'union exprimée par les différentes catégories des Tunisiens juste après la fuite de celui qui avait présidé durant un quart de siècle à ce régime inique s'appuyant sur le népotisme et la corruption, ce sentiment avait vite fait place à l'émergence d'un régionalisme bien plus qu'un tribalisme longtemps enfoui dans les replis de l'histoire de la Tunisie moderne. Sociologiquement parlant, cela se manifeste dans l'habitus qui est «le système de disposition acquise par l'apprentissage implicite ou explicite qui fonctionne comme un système de schème générateur»; au cœur du conflit se trouvent des cultures opposées, la première se caractérisant par l'individualisation, la deuxième par le holisme qui construit un «inconscient tribal». Ce caractère colonial de l'institution nationale qui régit l'ordre et symbolise l'Etat tunisien, a été touché par la révolution des masses marginalisées et défavorisées, ce qui implique un conflit et un «choc» entre deux cultures opposées : voire d'un inconscient individuel et un inconscient tribal ou collectif. La généalogie est donc rapportée à un manque de développement, vu que le rapport est un rapport de forces, où l'on cherche à renforcer une région au détriment d'une autre, d'où la concurrence vers la légitimité de l'existence au sein des institutions, se manifestant dans un champ de compétition pour l'enjeu de cette existence. Pierre Bourdieu parle de champ où les forces et les relations entrent en compétition et fonctionnent selon les agents et les intérêts, lié à un système de disposition acquis et un système de valeurs et de culture. Cet «affrontement culturel» a été dicté par l'idéologie politique, pour imposer des valeurs et révéler l'autorité de politique et la culture dominante. * Sociologue