Ben Ali, le ripou, dont quelques chapitres ont paru dans la rubrique «Les bonnes feuilles de La Presse et qui a circulé sur le Net, était signé Ali Zmerli. Un pseudonyme que l'auteur a choisi parce qu'il était loin d'imaginer que Ben Ali allait tomber aussi vite, même s'il parle de «signes de fin de régime». Une «précaution» compréhensible quand on sait la nature vindicative du «héros» de ce livre, décrit comme «sournois, pernicieux, perfide, intrigant et machiavélique», Béchir Turki — c'est le vrai nom de l'auteur — est bien placé pour en témoigner. Diplômé de St Cyr, de l'Ecole d'application des transmissions de Montargis, de l'Ecole supérieure technique de transmissions de Pontoise et de l'Ecole d'état-major de Paris, ce colonel-ingénieur en détection électromagnétique (radar) a été de longues années chargé de la direction des transmissions au ministère de la Défense, puis à celui de l'Intérieur. Il a eu pour collègue et même pour voisin au Bardo, un certain Zine El Abidine Ben Ali… Un homme chanceux L'ayant connu de près, ce livre-document retrace avec précision et moult détails, l'ascension fulgurante de cet élève médiocre (surnommé «Bac, moins trois») timide, effacé et intrigant, mais certainement né sous une bonne étoile. Renvoyé du lycée de Sousse, pauvre et désœuvré, la chance lui sourit quand, exceptionnellement, l'Ecole militaire de St Cyr accéda à la demande de la Tunisie, fraîchement indépendante, de dispenser une formation accélérée de six mois à des non-bacheliers. Après le concours, il a fallu l'intervention d'un jeune militant du Destour qui avait pour nom Hédi Baccouche, pour que Ben Ali fasse partie du contingent des futurs officiers. En effet, il avait le lourd handicap d'un oncle (tué, début des années 1950, par la milice du parti) et d'un père connu pour être collaborateur. De retour à Tunis et affecté au ministère de la Défense, il est poussé par des collègues à lui à demander la main de la fille du chef d'état-major. Ils vont jusqu'à le faire à sa place, dans un geste davantage «coquin» que sérieux. Stupeur: le général Kéfi, un homme d'origine modeste, qui a gravé les échelons un à un dans l'armée française dont il est sorti avec le grade de capitaine, accepte. Encore une chance. Il est ainsi catapulté à la tête du service de la sécurité militaire, où il s'avère un délateur de premier ordre quant à la vie privée de ses compagnons et un mauvais spécialiste de l'information à proprement parler qui consiste à défendre le pays des services de renseignement étrangers par la connaissance des matériels et des moyens de communication… Plein d'autres coups de chance et de pouce qu'il exploitera avec ruse, violence et coups bas, l'aideront à arriver jusqu'au sommet de l'Etat. Saïda Sassi y aura été pour beaucoup. Béchir Turki dresse avec lucidité le portrait du dictateur manifeste qu'il est devenu, son évolution et sa vision totalitariste du pouvoir. Il démontre sa fausseté, les alibis qu'il monte, les manipulations dans lesquelles il excelle, les relations qu'il tisse, y compris avec Israël et le Mossad, le sang qu'il n'hésite pas à faire couler. Il le décrit comme «affable avec ceux qu'il guette, implacable avec ceux qu'il dirige, Ben Ali est connu pour mêler aisément le faux et le vrai». L'auteur traite ensuite de la corruption, du vol et de l'enrichissement illicite des Trabelsi et de Sakhr El Matri, de l'ascension de Leïla Ben Ali et de sa convoitise pour le pouvoir absolu. Dans la longue lettre qu'il adresse au président qu'il était encore à l'écriture du livre (Béchir Turki a mis le point final à son ouvrage fin décembre 2010), l'auteur lui énumère tous ses méfaits, dont justement le fait que le ministre des Affaires étrangères ait cité de la tribune des Nations unies, Leïla et ses «réalisations». Il lui criera par ailleurs : «La mémoire des hommes retiendra que vous êtes un nouveau Néron, dominé par une nouvelle Agrippine… Tous deux vous serez cloués au pilori de l'histoire». Un livre que Béchir Turki a gardé dans sa version originale d'avant-janvier 2011, mais dont il a avancé la publication, puisqu'il comptait le faire en France (cela se comprend) ce printemps. Un livre fluide, écrit dans un français précis, concis, avec des flash-back opportuns. Soit les ingrédients qui vous poussent à le lire de bout en bout en une seule traite. Nous ne terminerons pas sans reproduire le pourquoi de ce document, tel que son auteur l'a précisé au verso de la couverture : «D'abord pour l'histoire, ensuite pour que notre jeunesse puisse ouvrir les yeux, afin qu'elle soit capable de tirer le ver du fruit, sans attendre qu'il soit corrompu. La destinée d'une nation — quel que soit le régime choisi — doit être tenue entre les mains d'hommes politiques expérimentés, compétents, et connus pour leur parfaite intégrité…». Un appel prémonitoire dont la classe politique devrait profiter en ces temps troubles. Béchir Turki en dira plus tout à l'heure (18h30) à Art Libris, lors de la rencontre débat-dédicace qu'il animera avec le public qui sera nombreux, nous n'en doutons pas.