Mesurer la misère, jauger l'appétit pour la liberté… Plusieurs indicateurs sont concoctés par les économistes pour tenter de repérer quel sera le prochain régime arabe à connaître la révolution. De la Tunisie à la Libye, en passant par l'Egypte et Bahreïn, la révolution des peuples arabes suit un chemin tortueux. Peut-on prévoir quelle sera sa prochaine destination? Les économistes tentent de répondre à cette question. L'enjeu est crucial: outre l'avènement espéré de la démocratie, la région est très riche en pétrole et en gaz, matières premières combien stratégiques. • L'indice de la misère. «L'envolée des prix de l'alimentaire et du taux de chômage se révèle être des ingrédients capitaux des révoltes populaires au cours de l'histoire», écrivent les économistes de Société générale dans une note intitulée «Les Misérables». Ils ont donc construit un «indice de la misère» additionnant inflation et chômage. A ce classement des plus malheureux, certains pays d'Afrique du Nord, comme l'Egypte et la Tunisie, arrivent en tête. Mais les pays de la périphérie de la zone euro, tels que l'Espagne et la Grèce, se trouvent également dans la zone dangereuse définie par l'indice. «Les troubles sociaux pourraient ne plus seulement concerner les pays pauvres et émergents, alors que le chômage pourrait augmenter de pair avec l'avènement de la rigueur dans certains pays développés», notent les économistes de Société générale. Dans ces derniers, toutefois, «les systèmes sociaux amortissent le choc». • La résistance au changement. On peut aussi inverser la question. Non pas se demander quel pays chutera en premier, mais plutôt quels sont les pays les plus enclins à surmonter la vague révolutionnaire. Les analystes de Bank of America Merrill Lynch (BofA ML) ont constitué un «indicateur de résilience» construit à partir de 18 composants allant de la compétitivité à l'inflation, en passant par la pauvreté et le régime politique. Ce calcul effectué, la sentence des économistes est sans appel: le Yémen, la Syrie et l'Algérie seraient les plus enclins à basculer dans la révolution, et le Qatar, le pays le plus stable. • Pas de formule magique. Malgré l'élaboration de savants indicateurs, les économistes restent très prudents sur leur capacité à prévoir l'avenir. «Il n'existe pas de formule magique pour prédire quel sera le prochain régime rattrapé par la révolution», reconnaît Ann Wyman, spécialiste du Maghreb et du Proche-Orient à la banque Nomura. La preuve: ni la Tunisie, l'Egypte, le Bahreïn, ou encore la Libye ne figurent parmi les pires élèves des différents classements tels que le bien-être, la pauvreté ou la corruption, souligne-t-elle. Et ce, contrairement à des pays restés calmes jusqu'à présent comme l'Algérie et le Maroc. Seul, le chômage des jeunes, reconnaît-elle, est particulièrement catastrophique en Egypte et en Tunisie. Des économistes ont tout de même senti venir le vent du changement. Début décembre, les analystes de BofA ML ont exprimé de vives inquiétudes à propos de l'Egypte. Et les investisseurs se sont inquiétés dès janvier de la situation à Bahreïn, comme le prouve l'envolée du coût de l'assurance sur la dette du petit royaume. Bien avant que les premières victimes de la répression ne soient à déplorer.