Par Khaled DELLAGI Deux mois après la chute de l'ancien régime, le peuple tunisien semble toujours frappé de stupeur. A double titre ; le premier est en rapport avec sa fierté d'avoir su affronter et démanteler l'ordre ancien ;le second est à la hauteur du vertige qui l'a pris en découvrant l'importance du délabrement du pays. Pas une seule institution publique ne semble indemne du désastre. Une image vient à l'esprit, celle d'une cabane en bois, totalement mitée. A la moindre secousse, elle risque de s'effriter et de tomber en ruine, irrémédiablement. Au lendemain du 14 janvier, le citoyen découvre donc l'ampleur du mensonge dans lequel il vivait ; avec étonnement et effroi. Mais, en vérité, que savons- nous de nous-mêmes ? Un pays est le reflet de son peuple. Plusieurs études économiques et sociologiques ont été menées ces dernières décennies. Quels crédits faut-il leur accorder ? Force est de reconnaître que les dés étaient pipés par les responsables pour nous tromper et nous renvoyer de nous-mêmes une image d'Epinal. Presque à notre insu, l'évolution de la société tunisienne s'est déroulée dans l'ombre. Aujourd'hui, toutes nos certitudes tombent les unes après les autres. La confiance entre gouvernants et gouvernés n'existe plus. La méfiance instaurée se nourrit du sentiment d'illégitimité du pouvoir. Nous sommes saisis par un état de dépersonnalisation aggravée par une angoisse existentielle. Larguant les amarres, le vaisseau Tunisie, tel le «Radeau de la Méduse» de Géricault, prend le large. Sous un ciel menaçant, il rame vers un avenir incertain. Du 14 janvier au 24 juillet, le vaisseau aura à affronter des écueils et des tempêtes. Pour rendre visible le paysage dans lequel nous vivons, troquons notre canne blanche contre une baguette magique. Pour cela, il faut appliquer notre droit d'inventaire. Il faut investir les institutions publiques, les collectivités territoriales et les entreprises privées à fin d'expertise et de consultance. Il faut dresser un bilan raisonné permettant de jeter un nouvel éclairage sur l'évolution de notre société. La crise politique, idéologique et religieuse explique les événements politiques récents. Un état des lieux exhaustif doit être établi : où en sont notre justice, l'éducation nationale, la formation professionnelle, la santé, l'agriculture, le tourisme, l'environnement...? Voilà quelques-unes des interrogations qui nous animeront et qui nous permettront de nous faire une opinion en toute sérénité. Un bilan de santé doit être établi sans complaisance. L'objectif est de déterminer les maux de notre société et d'imaginer une stratégie de sortie de crise. Les quelques mois de gouvernance provisoire apparaissent précieux, décisifs pour baliser le parcours du futur gouvernement. L'attelage politique risque d'être tiré à hue et à dia. Notre avenir dépend plus que jamais de notre aptitude à nous unir autour d'idées maîtresses. Le 24 juillet, la Révolution tunisienne légitimera une Assemblée constituante qui aura un pouvoir souverain pour établir une nouvelle Constitution. Autant dire qu'après cette date butoir, un nouveau voyage au long cours nous attend. Espérons qu'il nous mènera à bon port, à un Etat de droit, libre et démocratique. Nous quittons une terre qui nous est devenue étrangère. Nous voguons vers des contrées inconnues. Soyons patriotes et visionnaires ; seul l'avenir est digne d'intérêt. Il sera ce que le peuple écrira. Tout est encore possible, surtout le meilleur.