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Le retour à Bourguiba : réveil du politique ou effet de mémoire ?
OPINIONS
Publié dans La Presse de Tunisie le 12 - 04 - 2011


Par Kmar BENDANA
Pendant que Kadhafi tarde à accepter de laisser son pays vivre sans lui, notre transition miraculeuse est en train de pilonner l'image sombre de Ben Ali et de rétablir l'effigie de Bourguiba escamotée par son successeur. Bourguiba hantait la conscience de son général nommé Premier ministre, qui l'a renversé par un coup d'Etat «médical» et entrepris d'exploiter son héritage politique et idéologique. Confinant l'homme dans un coma médiatique, le deuxième président a entrecoupé l'exil du premier (1987-2000) de visites filmant un «fils» venant chercher, au chevet d'un père abandonné, les rappels réguliers d'une reconnaissance jamais assouvie.
A la faveur du onzième anniversaire de la mort de Habib Bourguiba, on assiste à une célébration enflammée de la vie et de la mort de cet acteur fondamental de la scène politique tunisienne au cours du XXe siècle. On peut rattacher l'actuelle exaltation qui joint la détestation de Ben Ali avec la re-découverte d'un père oublié comme une des déclinaisons de la soif de politique qui s'est emparée du pays après que le couvercle eut volé en éclats. On peut la lire également comme un contrepoint émotionnel de l'étape juridico-politique, plus opaque et plus laborieuse de cette traversée vers une existence qu'on espère plus démocratique que sous les deux régimes précédents. L'ardeur de cette célébration compense la haine et le mépris d'un régime honni, mafieux et inique, répond à l'aspiration vers une conception plus noble de la politique, concorde avec un besoin de sublimer les origines d'un Etat sali par des usurpateurs. L'inspiration unitaire et en même temps épuratrice qui anime cette commémoration rallume, notamment à travers les réseaux sociaux et donc chez un public jeune, une flamme lyrique pas encore éteinte depuis le 14 janvier, malgré les inévitables atermoiements de la réalité.
Dans cette ferveur, plusieurs besoins se rejoignent, des objectifs se rencontrent, des manières de faire se chevauchent, des intérêts se bousculent. Raconter la vie de ce héros essentiel dans la fabrication du sentiment national en Tunisie rapproche ceux qui l'ont connu et une jeunesse ayant grandi pour l'essentiel avec Ben Ali, tous révoltés par la confiscation de ses obsèques par les médias. Le retour à cette vie, purgée de ses excès et fautes, colmate les inquiétudes devant un avenir vécu comme lourd d'inconnu et chargé d'incroyance. En cette période de crainte envers les acquis féministes et en attendant de construire une légitimité électorale, Bourguiba, le re-père, permet de mettre un beau visage aux yeux bleus à côté du drapeau rouge et blanc remis à l'ordre du jour, jusqu'à être vendu dans les supermarchés et inclus dans toutes les publicités. Son portrait ressort des oubliettes à l'instar de l'hymne national, devenu de tous les sit-in et de toutes les manifestations, y compris dans la cérémonie populaire et religieuse du 2 avril où, dans le mausolée de Bourguiba, il est spontanément entonné après la Fatiha.
L'oubli et la récupération sont les deux mamelles de la mémoire, deux moments entre lesquels elle ne cesse d'osciller. Dans les mille et un signes contradictoires qui peuplent cette phase transitoire, se réfugier dans la mémoire d'un homme à qui la Tunisie actuelle doit beaucoup est une opération de survie, un viatique nécessaire à la poursuite d'un chemin que l'on pressent long et incertain. La démarche appelle à une immortalité collective et permet de s'accrocher à l'idée d'une gloire intemporelle dans un pays qui a appris à être fier de son histoire pluri-millénaire. Bourguiba devient le maillon d'une fierté que Ben Ali a cassé par son mauvais traitement politique, confondu avec le sabotage officiel qu'il a administré à l'image de son prédécesseur. La récente Révolution qui a «lavé», aux yeux du monde entier, l'honneur perdu de la Tunisie, déclenche l'envie de renouer avec la mémoire de Habib Bourguiba.
Vis-à-vis de ce dernier, la Tunisie a traversé, depuis son indépendance, deux séquences mémorielles, qui recouvrent deux usages autoritaires, quoique contradictoires, de son image. La première est celle que Bourguiba a eu largement le temps de construire en trente et un ans de régime autocrate (1956-1987). A force d'écrits commandités, à travers les manuels et les médias, grâce à son historiographe et en peaufinant, dans ses discours, une autobiographie tissée de références historiques choisies, Bourguiba a martelé l'image d'un Combattant suprême qui aurait affronté seul la France, combattu l'obscurantisme de la société tunisienne et triomphé des avatars d'une histoire tribale et divisée. L'histoire récente du pays est devenue la sienne propre et son objectif de bâtir un Etat moderne et indépendant, le seul qui vaille la peine d'être rattaché aux illustres prédécesseurs qu'il s'est choisis : Jugurtha, le roi numide, et Kheïreddine, le ministre réformateur, tous deux reconnus à un niveau impérial par Rome et par Istanbul.
Il a été relativement facile au régime de Ben Ali d'écorner cette croûte d'histoire officielle et de disqualifier la dimension légendaire qui la boursouflait. Au niveau de la propagande, on a pu aisément échanger un politiquement correct par un autre, en déboulonnant les statues, en faisant disparaître les noms d'avenues, en interdisant les chansons patriotiques et l'hymne composés à la gloire de Bourguiba, en suspendant discours et directives télévisés, en changeant l'appellation de son parti (PSD devenu RCD) et le vocabulaire qui rappelait la paternité des réalisations de son époque. Pour diluer la saga héroïque, il a suffi de faire émerger quelques oubliés de l'histoire bourguibienne, de rectifier les dérapages de sa communication parfois intempestive, de tirer parti des erreurs que le temps avait fini par révéler au grand jour. On a introduit l'annonce des prières à la radio et à la télévision et on a joué à la religiosité retrouvée à travers les mises en scène de l'annonce de l'Aïd par l'observation et non par le calendrier, comme au bon vieux temps de l'Islam imaginé et aux longues génuflexions filmées par les caméras. On a «permis» l'histoire des beys que Bourguiba a destitués, encouragé celle du Vieux Destour et de Thaâlbi avec qui il a rivalisé, réhabilité les noms du Néo-Destour qu'il avait effacés dans ses récits épiques. Le régime de Ben Ali a ainsi renouvelé le stock des noms de rues, déterré des héros des histoires locales, renforcé les commémorations partisanes en exhumant des acteurs négligés. Dans les programmes scolaires, les manuels ont réduit la place du héros exclusif en maintenant le cap d'une histoire nationale commencée avant l'indépendance et en récupérant les différents signes d'une histoire au long cours où Hannibal, Ibn Khaldoun et d'autres demeurent les ancêtres incontestables et éternels de la Tunisie benaliste.
Cette extension de la connaissance du passé de la Tunisie a rectifié la légende, supprimé l'exclusivité du personnage dans l'histoire nationaliste, émoussé son image. La mise en perspective historique a favorisé un effacement qui n'avait pas besoin de dire son nom, tant il est vrai que toute récupération de légitimité sert à amenuiser le mérite de celui à qui on veut la ravir. Mais comme toute instrumentalisation, celle de l'histoire de Bourguiba, même développée sur deux temps antinomiques, a ses limites : celle qu'il a racontée se confondait avec celle de la nation qu'il tenait à incarner seul, celle qui a suivi a effacé les contours de son aura, discrédité sa légende, sans éclairer les conditions sociales, culturelles et politiques qui l'ont fait émerger et sur lesquels il a agi à son tour.
Aussi, dans la nostalgie actuelle envers Bourguiba, sent-on que son héritage est plus que jamais offert à plus d'un, ouvert à tous les usages et donc à des abus. Qui pourrait aujourd'hui s'en revendiquer de façon exclusive ? Qui peut se vanter de sa paternité politique ? Ce qui ressemble à une dispute entre héritiers, sans programmes ni références, ne doit pas faire oublier, qu'au-delà de la concurrence ou de la surenchère qu'autorisent toutes les dérives mémorielles, nous avons surtout un besoin et un devoir d'histoire à accomplir envers l'homme et son œuvre, pour mieux connaître cette Tunisie contemporaine dont il est à la fois un produit et un acteur privilégié.


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