Par Ridha ROBBANA * Suite à votre article publié dans le journal La Presse du 3 avril 2011 et qui s'intitule «Elections du 24 juillet prochain (suite et fin) : comment voter par Internet‑?», permettez-moi d'exprimer mon point de vue en tant que professeur universitaire en informatique effectuant mes travaux de recherche sur le vote électronique. Dans votre article, Melle Amamou, dont vous ne dévoilez ni clairement l'identité ni la profession, propose un système de vote électronique à utiliser pour des élections politiques futures en Tunisie. L'approche de ce protocole de vote est naïve, très vulnérable à plusieurs types d'attaques malveillantes pouvant facilement causer des fraudes à grande échelle. Certes, le vote électronique (ou e-voting) a beaucoup d'avantages par rapport au vote traditionnel : il permet aux votants de voter de n'importe quel endroit et réduit de ce fait le taux d'abstentionnistes, ainsi que le coût dû à l'établissement des bureaux de vote et du personnel requis; il constitue un moyen de vote rapide grâce à un dépouillement automatisé. Cependant, pour bénéficier de ces avantages, il faudrait que le vote électronique assure des propriétés de sécurité cruciales pour garantir l'absence de possibilité de fraude. Par exemple, il est impératif qu'un votant ne puisse voter sous la pression d'une tierce personne. Cette condition doit être vérifiée notamment s'il s'agit de voter à distance en utilisant Internet. Aussi, faudrait-il assurer, lors d'une élection, l'impossibilité de faire le rapprochement entre un votant et son vote. Dans le cas contraire, cela compromettrait l'anonymat des votants. Il serait important aussi de faire en sorte qu'il n'y ait pas de résultats partiels des élections avant leur achèvement, car cela pourrait influencer les électeurs qui n'ont pas encore voté. D'un autre côté, il faut veiller à ce que tout votant puisse vérifier que son vote, ainsi que tous les autres votes ont bien été comptés. Cela pourrait instaurer un climat de confiance dans le processus de vote, par analogie au vote traditionnel où le dépouillement se fait en présence d'observateurs. Le domaine du e-voting est en pleine effervescence et beaucoup de chercheurs de renommée mondiale y travaillent encore. Il existe de nombreux systèmes de vote électronique qui ont été proposés et qui mettent en jeu divers mécanismes sophistiqués de cryptographie. Mais la quasi-totalité ne satisfont pas aux exigences de sécurité fondamentales, et peuvent être la cible d'attaques pouvant causer des fraudes à grande échelle. Beaucoup d'expériences de vote électronique ont été menées dans certains pays, avec des investissements lourds, mais se sont soldées par des échecs. En collaboration avec des chercheurs tunisiens et étrangers, nous avons initié et organisé plusieurs workshops autour de la problématique du vote électronique où plusieurs spécialistes internationaux dans ce domaine ont confronté leurs idées. Ces workshops sont Veto 2007 qui a eu lieu à l'Ecole polytechnique de Tunisie en 2007 (http://lepolytechnicien.org/veto-07/), Veto 2008 qui a eu lieu à Luminy en France (http://pages-perso.esil.univmed.fr/bonnecaze//veto/veto08.html) et veto 2009 qui a eu lieu à Grenoble en France (http://www-veto2009.imag.fr/). Les divers témoignages soulignent que, malgré son attrait, le vote électronique ne peut encore être adopté. Il est donc clair que dans cet état des choses, le e-voting relève encore de l'utopie, et ne pourrait être pratiqué pour des élections importantes et de grande envergure comme celles qui se présentent à nous à l'horizon de juillet 2011.