Le sort des biens de la famille du président déchu a fait récemment l'objet d'un texte de loi, permettant à l'Etat de procéder à leur saisie. Les montants en jeu sont considérables et se rapportent à des biens matériels, des avoirs financiers,… aussi bien en Tunisie qu'à l'étranger. Cependant, cette décision, qui se traduit par un transfert‑de propriété aux domaines de l'Etat, ne peut être, à elle seule, une solution suffisante. Il faut en effet confier cette richesse à une fondation, qui soit capable de la traiter comme un tout, de la faire fructifier et de l'utiliser pour financer les jeunes qui ont été à l'origine de la révolution et les aider à réussir leurs projets. La valeur des actifs de la famille du président déchu n'est pas connue avec précision à ce jour. Les tentatives d'estimation avancent des chiffres faramineux, qui atteignent plusieurs dizaines de milliards de dinars. Ces actifs comportent une diversité de biens, qui peuvent être classés en deux ou trois catégories. Il y a d'abord les biens immobiliers comme les terrains, les maisons… qui ne générent pas de revenus d'exploitation courante, mais dont la valeur correspond à la nature même du bien. Il y a ensuite une seconde catégorie, celle des sociétés détenues par la famille, à savoir les commerces, l'industrie, les hôtels,… Leur valeur représente celle du bien matériel lui-même, ainsi que le fonds de commerce qui s'y rattache. Elle dépend fortement de la capacité de gestion du bien en question, qui garantit les revenus futurs. Enfin, les actifs financiers, dont une grande part se trouverait à l'étranger, sont à classer entre les deux catégories précédentes. Avec la publication du décret n°13 du 14 mars dernier, il semble que l'ensemble de ces biens reviendrait à l'Etat, sans pour autant que l'on sache ce qu'il en fera, et, surtout comment il pourra les valoriser, et éviter de les revendre individuellement suivant une procédure administrative classique. En effet, le risque de procéder de la sorte est d'aborder le problème sous un angle de juriste, en considérant chaque bien séparément, et en lui appliquant les procédures en vigueur pour le rétrocéder ou pour le gérer momentanément à travers un administrateur judiciaire. De cette façon, l'effet de masse, dont on peut profiter en traitant l'ensemble des biens comme un tout, disparaît, et l'on ne pourra pas bénéficier‑de la fameuse règle «le tout est supérieur à la somme des parties». Rétrocéder ces biens à des acquéreurs individuels permettrait certes de récupérer un montant important que l'Etat pourra investir dans divers secteurs. Un fonds pourrait même être créé pour loger les montants ainsi récupérés. Cependant, il est possible d'aller au-delà, et de générer un effet multiplicateur qui bénéfice directement aux jeunes acteurs de la révolution tunisienne. Il s'agit de créer une fondation pour la récupération et la gestion des biens de la famille du président déchu. Sa mission serait d'apporter un conseil technique et financier aux jeunes créateurs de projets, et de leur fournir les fonds nécessaires. Ces derniers proviendraient de la gestion des biens récupérés. Cette fondation aura un statut d'organisme à but non lucratif, tout en veillant à ce qu'elle applique les règles de bonne gouvernance. Deux activités principales seraient à prévoir : la première est celle de la récupération et la fructification des biens. Elle comportera l'évaluation des actifs, puis leur vente et/ou leur exploitation, à travers des contrats de gestion à confier à des professionnels. La fondation n'assurera pas elle-même la gestion courante des biens, mais confiera cela, par contrat, à des opérateurs du métier qu'elle supervisera. L'objectif étant de ne pas vendre la totalité des biens et verser le montant dans les caisses de l'Etat, mais de disposer de revenus permanents pour financer la seconde activité. Celle-ci serait assimilée à du capital-risque, et consiste à proposer un conseil et un accompagnement de proximité au profit des porteurs de projets situés dans les régions défavorisées, et à financer ces projets. Le fait de pouvoir utiliser les ressources générées par la vente et la location des actifs récupérés pour financer l'activité de capital-risque ne signifie pas que cette dernière ne puisse pas être viable par elle-même. Elle signifie seulement qu'elle nécessite une nouvelle approche de la notion de viabilité, qui dépasse la rentabilité financière de court terme. C'est pourquoi il est nécessaire de créer un cadre spécifique comme celui d'une fondation pour réussir un tel projet. Son impact sur l'économie du pays et sur le développement régional peut devenir assez important. Outre l'impact direct qui serait généré par la création des projets financés par cette fondation, il y a aussi le développement du travail associatif pour l'identification et le suivi des projets. Les associations locales seront en fait la base du fonctionnement de cette institution et représenteront la clé de sa réussite. Il y a également cette opportunité de lancement d'un cadre légal pour les fondations, afin qu'elles puissent jouer leur rôle dans le développement, en faisant participer la société civile. Ceci sans parler de la promotion, à l'échelle des régions, des métiers d'ingénieurs, d'économistes, de sciences humaines… qui apporteront le conseil et le soutien aux porteurs de projets. La présence de ces compétences est en réalité ce qui différencie la fondation d'un fonds classique de financement de projets. Signalons enfin que cette problématique de la gestion des biens usurpés par les dirigeants est suffisamment importante pour que la Banque mondiale lui ait consacré un outil spécifique, appelé Star, conçu en collaboration avec la Convention des Nations unies contre la corruption (CNUCC). Son objectif est d'aider les pays en développement à recouvrer les avoirs volés par les dirigeants corrompus, puis de les assister pour investir ces fonds dans des programmes de développement efficaces. Il s'agit donc d'un problème complexe qu'il faudra traiter avec professionnalisme, en s'inspirant de ce qui a été fait ailleurs, et en dépassant le cadre strict des structures administratives traditionnelles. * Directeur général d'un bureau de conseil