L'Association tunisienne de psychiatrie d'exercice privé a organisé les 9es journées nationales de psychiatrie sur le thème «Parole, écoute et liens avec la démocratie», qui a eu lieu dernièrement à Sousse. Le colloque a rassemblé plusieurs psychiatres tunisiens et français, parmi lesquels les Pr Seddik Jeddi, Azzeddine Guediche, Taoufik Skhiri et Karim Taben, ainsi que les Dr Houssem Louiz, Herve Bokobza, Paul Lacaze et Hatem Achache. Des penseurs, dont Youssef Seddik, étaient de la rencontre. Plusieurs sujets ont été débattus, entre autres la relation patient-psychiatre avant et après la révolution tunisienne, le rôle de la psychiatrie dans le processus démocratique, la relation gouvernant/gouvernés et le déplacement du pouvoir, les préoccupations actuelles de la psychiatrie... Dans son intervention intitulée : Le silence, Youssef Seddik propose une analyse sémantique, de la sourate El araf qui évoque les origines de la création, où il s'abstient de donner sa propre lecture de la sourate, en évoquant la citation célèbre d'un mystique qui a écrit : «A chaque fois que l'expression verbale se réduit, la vision s'étend et s'élargit». Il nous incite ainsi à réfléchir sur la nature de la relation triangulaire entre Dieu, le diable, et l'homme et ses différentes interactions, puisqu'elle commença par un commandement divin (l'ordre de se prosterner, pour évoluer vers la désobéissance du diable et finir par heurter le silence d'Adam). Le penseur débouche de la sorte sur les possibilités d'une multitude d'interprétations du texte coranique, permettant d'aborder les grandes questions philosophiques, à savoir la dualité du mal et du bien, de la liberté et de la responsabilité. Il ouvre également grand le débat concernant la démocratie, fondée sur la liberté de choix et l' autonomie, tout en abordant les risques qu'elle suppose, en opérant une rupture avec l'interprétation théologique restrictive qui exclut toute réflexion sur le texte coranique. Le Pr Houssem Louiz, en empruntant dans son intervention intitulée. L'autorité en question, tantôt une approche de philosophie politique par référence à Hannah Arendt, tantôt une approche psychanalytique par référence à Freud et à Lacan, propose d'analyser la relation qu'entretient la dictature, en tant que régime politique, avec le peuple. D'un point de vue politique, la dictature, ne disposant pas de légitimité, use de la force pour assurer sa continuité et ne garantit ni les libertés publiques ni celles individuelles et ne poursuit donc pas la réalisation du bien commun. D'un point de vue psychanalytique, l'égocentrisme du chef envahit toute la diversité identitaire du groupe, allant jusqu'à la négation de toute altérité afin d'occuper symboliquement tout l'espace public en tant qu'espace réservé uniquement au pouvoir. Le Dr Houssem Louiz tente d'analyser la récupération du pouvoir par les différentes forces sociales et l'instauration de la loi et de l'ordre, en se référant au meurtre du père par ses fils, tel qu'il a été analysé par Freud dans Totem et Tabou et développé, plus tard, par Lacan, pour expliquer la chute de la dictature et le processus de la reconstruction. Il constate que le débat de la laïcité, tel qu'il fut mis en scène sur la place publique, a été rapidement déplacé sur un niveau identitaire par l'islamisme. «Or, le discours identitaire, ayant pour fondement la représentation théologique du pouvoir, présuppose que nous sommes tous les mêmes et évacue ainsi toute altérité, tout droit à la différence au sein d'une société et ne favorise nullement l'achèvement du processus démocratique, mais plutôt l'émergence d'une nouvelle dictature», dit-il. Le Pr Seddik Jeddi propose une lecture approfondie du célèbre écrivain arabe ettawhidi. Les gouvernés se préoccupent souvent de la vie et de tout ce qui se rapporte à leurs gouvernants jusqu'aux moindres détails. Il serait essentiel d'écouter leur discours en période de soulèvement et de révolution, afin de remédier à l'instabilité et au désordre social. On doit rechercher le sens, non seulement apparent, mais caché du discours des gouvernés. Il s'agit, en effet, de déceler «le discours du discours», pour comprendre les raisons profondes de tout bouleversement social et politique. Cette écoute suppose une distanciation, un recul, voire une certaine neutralité. Bien que s'inspirant de la littérature arabe classique, l'intervention du Pr Jeddi est au cœur de notre actualité. Elle nous enseigne que l'écoute et la communication restent les meilleures solutions pour résoudre l'instabilité et le désordre social et politique, à condition qu'elles soient profondes, neutres et objectives, car le discours des gouvernés(dans l'histoire rapportée) fut analysé par des mystiques, c'est-à-dire par une élite désintéressée. «Savoir écouter ouvre le chemin vers la liberté», a-t-il conclu. A travers d'autres interventions, certaines questions ont été posées, à savoir si la pathologie est le produit de l'histoire personnelle du patient ou d'un système politique et social, ou encore des deux à la fois? Quel est le rôle attribué à la psychiatrie au sein d'une dictature et au sein d'une démocratie? Le débat reste ouvert dans tous les domaines en période de révolution, car une remise en question est nécessaire pour construire un autre avenir, une autre société.