Par Moncef HORCHANI Que d'événements se sont succédé dans le pays depuis l'avènement de la révolution‑: deux gouvernements éphémères, occupation par deux fois de la Place de La Kasbah, sit-in et grèves à répétition, manifestations en cascade, violences, pillages… Le dernier événement en date, et qui a pris une tournure dramatique, a eu pour théâtre la paisible localité de Rouhia‑: deux militaires tués lors d'une fusillade et deux terroristes abattus. Les Tunisiens dans leur ensemble, déjà traumatisés par les agitations incessantes qui perturbent leur quotidien, prennent conscience qu'ils sont désormais pris pour cible par des bandes de terroristes fanatiques, prêts à tout pour déstabiliser le pays et, par là même, saper leur révolution. L'émoi qui s'est emparé de la population à la suite des incidents de Rouhia est venu s'ajouter à l'inquiétude née de l'arrestation, quelques jours auparavant, d'un groupe de terroristes armés qui se sont infiltrés dans le pays pour commettre des attentats. Les Tunisiens ont mesuré la gravité de la situation et ont été durement éprouvés par la mort des deux militaires, tombés sur le champ d'honneur pour avoir voulu défendre la patrie. Ils sont morts en héros. Que Dieu ait leur âme. Ce drame est venu apporter la preuve que nous avons grand besoin des forces de sécurité, qu'elles appartiennent à la police, à la Garde nationale ou à l'Armée. Nul n'a le droit de minimiser leur rôle ou de leur adresser des critiques déplacées quant à la manière de faire leur travail. Que ce soit à l'intérieur du pays ou le long des frontières, les agents nationaux de la sécurité accomplissent leur devoir avec dévouement et bravoure. Ne sont-ils pas en danger quand ils se font caillasser par des délinquants déchaînés, ou quand ils affrontent des braqueurs en possession d'armes blanches, des contrebandiers prêts à tout pour ne pas se faire arrêter, des terroristes armés aux visées sanguinaires… Ils sont toujours prêts à se sacrifier, certains l'ont fait, pour veiller à la sécurité du pays. Et c'est précisément de cette sécurité dont nous avons grandement besoin, aujourd'hui, car il ne peut y avoir ni démocratie, ni liberté, ni éducation, ni progrès économique sans sécurité. Qu'on le veuille ou pas. Qu'il y ait parfois des dérapages, tout le monde en convient, mais ces bévues sont excusables — quoique regrettables — dans la mesure où elles ne sont pas intentionnées. Des interventions policières «propres», cela n'existe pas. Nulle part dans le monde. Pourtant, en dépit des efforts fournis par les forces de l'ordre, tous corps confondus, pour assurer la sécurité des citoyens, le climat sociopolitique ne cesse de se dégrader et d'envenimer la stabilité du pays. Que d'exemples illustrent cette situation ! A l'heure où deux militaires sont abattus dans l'accomplissement de leur devoir, des taximen gesticulent dans des artères de la capitale pour arracher le droit de gagner plus. Des sit-in et des grèves absurdes persistent, faisant fi du drame survenu à Rouhia. Des hommes de droit ne cessent de se chamailler sous les feux des projecteurs à propos de problèmes corporatistes qui constituent le dernier des soucis des citoyens. Des discussions byzantines, tortueuses et émaillées de querelles, ont prévalu lors de la mise au point des prérogatives de la commission en charge de préparer les élections. L'acharnement insupportable d'un groupe d'avocats pour remettre en cause la légitimité de la commission créée en vue de faire la lumière sur les actes de corruption et de malversation. La persistance qui n'a que trop duré de la condamnation d'un dérapage policier pourtant reconnu et déploré par le ministère de l'Intérieur. La mise en garde de certains défenseurs des droits de l'Homme contre l'usage peu «démocratique» de matraque et de gaz lacrymogène par les forces de l'ordre pour empêcher des voyous en délire de piller les boutiques, d'incendier les voitures, de terroriser les citoyens... Toutes ces agitations, et bien d'autres, ne font qu'alimenter la supicion et agiter les esprits malveillants. Il est inconvenant, d'une part, de miner le climat sociopolitique et, d'autre part, de se plaindre de l'insécurité qui règne dans le pays. Au contraire, tous les acteurs de la société civile doivent conjuguer leurs efforts pour amener le pays à connaître sécurité et stabilité plutôt que se complaire dans le silence ou entretenir des campagnes de dénigrement. Quant aux 68 partis, si notre compte est bon, qui ont envahi la scène politique, ils ne doivent pas être en reste. On n'en voit pas beaucoup qui se soucient de la situation sécuritaire dans le pays tant ils sont braqués sur des sujets mineurs, tel le financement de leurs partis aux frais du contribuable, problème que leurs fondateurs auraient dû envisager et résoudre bien avant de créer leurs mouvements, car vouloir un parti, c'est pouvoir a priori lui donner les moyens de survivre. Leur implication dans la lutte contre la violence, le blocage des institutions et des entreprises, les tentatives venues de l'extérieur pour déstabiliser le pays, ne doit pas se limiter à des communiqués de circonstance, mais se traduire par des actions continues sur le terrain et à travers les médias. Cela serait sûrement pour eux l'occasion de mieux se faire entendre et de mieux marquer leur présence sur la scène politique. La nécessité de faire sortir le pays de toutes les turbulences qu'il traverse actuellement appartient à tous et non aux seules forces de l'ordre, lesquelles ont bien du mal à accomplir leur devoir de manière efficiente tant elles sont sujettes à des critiques ou à des procès d'intention. Dernier exemple en date : on les suspecte déjà de vouloir exploiter le drame de Rouhia pour revenir à la politique de répression d'antan. Le fait même d'y penser est ridicule, mais quand on le déclare, ça devient honteux. A défaut de vouloir consentir l'effort pour aider les forces de sécurité à maintenir l'ordre, qu'on les laisse au moins faire leur travail dans l'intérêt du pays et dans le cadre de la loi. S'abstenir d'attiser les tensions et faire l'économie des critiques inappropriées sont déjà une marque de reconnaissance et de soutien. En attendant davantage.