Fraîchement débarqué du festival de Cannes, où il a été projeté en séance spéciale dans la sélection officielle, Plus jamais peur de Mourad Ben Cheikh est détenteur de la Palme du retour du cinéma tunisien sur la Croisette, après une décennie d'absence. Et ce n'est pas n'importe quel retour, puisque c'est parmi les premiers documentaires achevés sur le 14 janvier. Sa sortie commerciale en Tunisie a débuté lundi, inaugurée par une conférence de presse dans laquelle on a annoncé que les revenus par producteur seront versés à des associations d'aide aux personnes à besoins spécifiques, dans les régions de l'intérieur. Plus jamais peur, le titre est suggestif et plein d'optimisme. Le film est construit autour de cette évacuation de la peur qui a caractérisé les premières semaines de l'après-Ben Ali. Partout et en même temps, la prise de parole a jaillit des profondeurs de la société comme un volcan en apparence endormi mais qui, en fait, n'a jamais cessé son bouillonnement. Ce qui explique que dans le chaos apparent, chaque parole est pertinente. Chaque phrase a du sens. Pour Mourad Ben Cheikh, cette prise de parole est une thérapie. C'est là la démarche de son œuvre. L'aliénation de la société par 23 ans de dictature, voire plus, ne pouvait guérir que par cette étape transitoire, où l'on se défoule, où l'inconscient devient omniprésent, jusqu'à trouver l'équilibre psychique. En parallèle avec cette mosaïque de déferlante populaire, qu'elle vienne des manifs, des revendications sociales ou du premier sit-in de La Kasbah, il y a, comme pour faire le poids, les portraits de trois personnages de ceux qui n'ont pas attendu le 14 janvier pour défier ZABA. Il s'agit de la jeune bloggeuse et cyber-militante Lina Ben Mhenni, de l'avocate et militante des droits de l'Homme Radhia Nasraoui et du journaliste indépendant Karem Chérif. Ces derniers s'expriment avec la sagesse d'une longue expérience avec le régime déchu. Alors que la masse semble tout juste débuter son exercice de la démocratie et de la liberté, avec ses balbutiements, eux ne font que continuer leur bonhomme de chemin, tout en accompagnant les gens dans le processus révolutionnaire. Et puis, il y a cet autre personnage, que l'on découvre au tout début du film, et qui revient tel un leitmotiv. Un patient dans un hôpital psychiatrique en pleine séance de thérapie artistique. A partir des images publiées dans la presse sur les événements du 14 janvier, il va créer un collage tout en émettant son point de vue sur ces événements. Cet homme, qui est un peu nous tous, dit qu'il ne faut pas avoir peur de la liberté mais plutôt pour la liberté. Le système Ben Ali l'a rendu malade, c'est peut-être la «révolution» qui va le guérir. La fresque qu'il réalise n'est autre que l'affiche du film. Le réalisateur met aussi un point d'honneur à rendre hommage à ceux qui ont milité et que nous avons perdus en cours de route, ceux-là à qui le film Plus jamais peur est dédié.