Par Kamel ESSOUSSI La Libye s'empêtre dans une guerre civile destructrice avec son dictateur décidément indétrônable. La Tunisie balbutie en esquissant ses premiers pas vers la démocratie et la reconstruction après avoir chassé son dictateur fuyard. L'Espagne pour sa part qui a fait sa révolution depuis belle lurette se remet en question et entame une révolte à la tunisienne revendiquant un futur meilleur dont elle ignore les contours. Mais c'est la Tunisie qui est en fait au centre et à l‘origine de tout ce remue-ménage, de par l'onde de choc, la déferlante, le tsunami planétaire de sa révolution. Les historiens diront plus tard comment cette révolution a pu à la fois susciter chez nos voisins en Libye ce besoin de démocratie et provoquer simultanément chez nos amis espagnols bien assis confortablement dans leur démocratie, un autre besoin celui de changer de société. Dieu sait ce qu'elle suggérera encore à d'autres peuples dans les jours et les mois qui viennent. Jusqu'à ce que ces répliques se calment, on laissera les philosophes pérorer, les économistes imaginer et les politologues théoriser. L'objet du sujet c'est le futur proche de cette désormais célébrissime Tunisie par qui tout est arrivé. La Tunisie peut-elle avancer comme elle en a envie à grands pas vers la reconstruction quand elle traîne le voisin Libye comme un boulet de canon qui fait des siennes en bombardant nos frontières, nous exporte ses milices, ses refugiés, nous pose des colles diplomatiques entre rupture des relations de bon voisinage, nous impose une mobilisation de tout notre appareil sécuritaire, armée et forces de l'ordre réunies, nous prive de la manne du tourisme, nous envahit notre sud en le paupérisant ? Imaginons un seul instant que le «kadhafou» s'en aille et décide d'abandonner la partie, toute la reconstruction du processus politique, économique, social et culturel prendrait un bon coup d'accélérateur chez nous. On en est tous convaincus. Quel soulagement pour Ras Jedir avec ses malheurs, ses incendies, sa misère et sa détresse. Au diable Dhiba bombardée, Dhiba martyrisée, mais Dhiba désormais en paix. Finies les embarcations de misère et les «harqa» périlleuses et fatales des jeunes vers Lampedusa qui enflamment réellement les cœurs de nos mères. Il suffira de traverser à pied pour se retrouver dans un pays plus riche et plus prometteur. Quelle manne providentielle justement pour résorber notre mal national, le «chômage». ! Le voisin anéanti sur tous les plans, aura besoin de tant de compétences qu'on se demande s'il en restera suffisamment au pays pour nos propres besoins. Quelle bouffée d'air frais pour nos exportations et en conséquence nos hommes d'affaires dont les machines et les usines retourneront à carburer à pleins gaz pour réapprovisionner un marché rouvert de plusieurs milliers d'âmes qui manquent désormais de tout. Ah si Kadhafi s'en allait. La Tunisie, qui s'est débarrassée de la chape de plomb qui l'asphyxiait sous Ben Ali de la plus belle des manières avec une auto médication qu'elle s'est concoctée toute seule, se débarrasserait du coup de la verrue purulente qui l'enfièvre en ce moment et affaiblit son corps fragile encore. Le groupe des grands — le G8 — qui se penche depuis le 14 janvier au chevet de ce patient intrigant à la maladie révolutionnaire contagieuse, a déjà diagnostiqué tout le corps. Il est convaincu qu'il va falloir mettre les bouchées doubles pour pacifier la Libye s'il veut faire grandir cette étrangeté «Tunisie» et la pouponner pour la présenter en exemple au monde arabe. C'est en adjuvant qu'il utilise ainsi la recette Libye. Le remède miracle qu'il a prescrit récemment à Deauville pour le cas, c'est les centaines de milliards de dollars pour lui assurer un futur plus sûr. C'est là justement où on en arrive à l'Espagne. Une Espagne pacifiée, démocratisée, opulente, remorquée et attelée à la locomotive Europe grâce au remède miracle de ces grands – le robinet des milliards de dollars— mais une Espagne qui rechute dans la contestation sociale et qui donne des signes cliniques de fièvre évidente d'un mal compliqué dont on commence à peine à étudier les causes et les effets: l'endettement démesuré chronique, la globalisation outrancière évolutive et la «chômagite juvénile inflammatoire paupérisante». Tiens tiens ! Et nous Tunisiens qui pensions qu'il suffit de se débarrasser de la dictature, de démocratiser et de recevoir un chèque en blanc pour guérir de notre misère, voilà que la prescription ne semble pas être la bonne. D'aucuns diront que nous n'avons le choix que d'ingurgiter ces ingrédients et c'est la tendance générale en ce moment. C'est déjà pas mal si on arrive à ce niveau de développement ; les dommages collatéraux, on n'en a cure, on s'en chargera quand ça nous arrivera, et on en est encore loin. Mais d'autres pourraient arguer de cette rechute des Occidentaux en Espagne, comme en Grèce ou en Islande ou aujourd'hui même en France du reste, pour vous dire que l'Etat doit absolument bannir cette notion de bonheur individuel dans une recherche d'un nirvana collectif concrétisé par un communisme seul à même de pouvoir assurer le bien sur terre. D'autres, et ils sont nombreux en ce moment, prosélytistes pseudo politiciens, vous affirment que la vie sur terre est par essence éphémère, dérisoire et ne mérite d'être vécue que pour un investissement dans l'au-delà qui ne coûte pas cher. Il suffit de faire ses cinq devoirs prônés par Dieu et de réglementer sa vie d'ici-bas dans le tempo de la charia pour arriver à la béatitude totale. Mais c'est après la mort et au Paradis que ça se réalisera. Oui mais en attendant, une chose est sûre. Entre une Libye qui nous enquiquine, freine notre élan vers la reconstruction et nous fait miroiter en même temps des lendemains meilleurs dès le départ de son dictateur, et une Espagne développée, démocratisée et qu'on croyait guérie mais sujette à des convulsions dues aux contre-indications des médicaments que les grands lui ont fait ingurgiter et qui nous inquiètent, le cœur de la Tunisie balance. La voie à suivre n'est pas toute tracée. Il va falloir attendre les élections de la Constituante, l'élaboration de la Constitution et sa mise en vigueur. Rendez-vous donc dans quelques années pour voir tout ça. Mais fions-nous au sens de l'agitateur provocateur et faiseur de l'histoire de l'Humanité, ce Tunisien. Il saura probablement inventer un système bien à lui qui sera à coup sûr le modèle à suivre pour le cas libyen et celui qui permettra de gommer les effets indésirables de l'endettement du cas espagnol.