• Après Dream City, Sofiane et Selma Ouissi enchaînent avec le projet «Laâroussa» pour rendre à ces femmes de Sejnane, artistes et artisanes, l'honneur et la reconnaissance qu'elles méritent Ce n'est pas un hasard s'il a voulu s'entretenir avec nous dans son bureau à l'Ariana. Sofiane Ouissi est un homme très occupé. Il ne ressemble plus du tout à ce jeune danseur chorégraphe, fraîchement débarqué de France, disponible et ouvert à toutes les rencontres. Il a même perdu son petit air d'enfant émerveillé, ce regard qui vous dit tout de suite «je vous fais confiance» et ce rire joyeux qui le suit dans toutes ses conversations. C'est un Sofiane Ouissi concentré, méfiant et presque mélancolique que nous avons retrouvé en cette fin de mois de mai 2011. Père de famille, fils responsable et artiste dans l'âme, il est en train d'éviter les «liaisons dangereuses» pour se préserver et préserver ceux qu'il aime. Tout le monde n'est pas si gentil et si beau qu'il ne croyait. Mettant plain-pied dans la réalité de son petit pays, il ne se sent appartenir à aucun clan. Mais un Sofiane en cache toujours un autre, le même, celui qui sait donner, mais qui ne sait pas prendre. Cela le rend parfois furieux. Alors, il se retire, ignorant les appels en absence, pour se reposer en changeant de fatigue. Ne perdant pas espoir dans l'humain, il prend ses cliques et ses claques et s'en va à la quête du beau. C'est ainsi qu'après avoir fait l'événement avec la deuxième édition de son «Dream City» en octobre 2010, offrant aux artistes d'art contemporain une visibilité différente dans des espaces non conventionnels de la Médina de Tunis, il enchaîne avec un nouveau projet, un nouveau rêve, celui de «Laâroussa» (la poupée) dans la région de Sejnane. Il s'agit d'une fabrique d'espaces populaires de création artistique qui se déroule depuis février 2011 et qui sera clôturée ce mois-ci. Sofiane n'est pas seul sur ce projet, ni dans les précédents, d'ailleurs. Il l'a imaginé et mis en place avec son âme sœur, qui est d'ailleurs sa propre sœur, Selma Ouissi. Elle était en France, lorsque nous avons rencontré son double. L'art et la survie «Laâroussa» qui fait référence à cette poupée d'argile au graphisme particulier, fabriquée depuis 4 siècles par les femmes de Sejnane, accueille plus de 57 artistes artisanes qui vivent des situations de très forte dépendance économique malgré leur savoir-faire riche et créatif. On nous apprend que leurs chefs-d'œuvre qu'elles vendent à un maximum de 4 DT, sont revendus à l'aéroport de TunisCarthage à 50DT et en Europe à 200 euros. Surexploitées, oubliées et isolées dans leurs villages, ces femmes ne jettent pourtant pas l'éponge. Elles doivent continuer à travailler pour survivre et faire vivre leurs enfants. Pour la plupart, se retrouvant sans hommes, (ils sont ou décédées ou travaillent loin à la capitale), elles sont obligées de jouer plusieurs rôles à la fois: cuisiner, nourrir, nettoyer, laver, éduquer, traire les vaches, planter, récolter, chercher de l'eau ou de la terre pour leurs œuvres… Ces femmes aimeraient avoir plus de temps pour créer. Une réorganisation et une répartition des tâches s'imposent. Selma et Sofiane, les initiateurs de «Laâroussa» ne prétendent pas avoir toutes les solutions. Ce projet est d'abord censé attirer l'attention sur une région qui mérite d'être classée dans le patrimoine humain de l'Unesco. «C'est un projet très horizontal, avoue Sofiane, qui a surtout pour but de développer et de mettre en avant l'artistique chez ces femmes». Dans un film et sur les photos que Sofiane a bien voulu nous montrer, nous avons senti ce plaisir de l'échange entre les potières de Sejnane, le collectif Dream City et leurs partenaires «La Luna», un collectif composé de trois femmes plasticiennes, spécialisées dans le travail des quartiers et des populations. Naissance de l'idée Sofiane tient à le préciser, l'idée de ce projet n'est pas née après la révolution. «Laâroussa» s'inscrit dans la continuité d'une réflexion sur l'espace social et sur la possibilité d'inventer de nouvelles formes de sociétés et de redéfinir à chaque fois, ses composantes de penseurs, d'intellectuels et d'artistes. Le projet place l'échange et la solidarité au cœur de sa réussite. Il participe à la lutte contre la pauvreté à travers l'autonomisation de la femme. Il a également pour objectif de professionnaliser des activités économiques informelles pré-existantes et de créer une coopérative qui gère le quotidien de ces femmes et leurs compétences. Plusieurs personnes sont impliquées. A part les femmes de Sejnane, pour lesquelles la poupée d'argile est un moyen de survie plus qu'une passion, il y a les femmes de La Luna, venues de Nantes, et les couturières-tricoteuses-conteuses d'Arlène (association d'insertion de quartier qui travaille la création textile) et qui regroupe un grand nombre de femmes, dont des Tunisiennes et des Africaines pour lesquelles le textile est un moyen de réinsertion, et la poupée une trace de mémoire collective. D'autres partenaires ont aidé à la réalisation de ce projet, dont la Fondation Anna Lindh, la délégation de l'Union européenne en Tunisie, l'Institut français de coopération, l'ambassade de Suisse, et Dorémail, une entreprise spécialisée en céramique qui n'a pas hésité à soutenir ce projet, malgré cette période de crise d'après-la révolution. Le projet de «Laâroussa» est divisé en deux «actes» principaux : dans le premier, il s'agit de construire cette coopérative sur le plan humain. Dans le deuxième acte, les initiateurs œuvrent à la construction du lieu officiel de cette coopérative qui permettra de donner un nouveau souffle et une nouvelle vie à la poupée d'argile de Sejnane. ––––––––––––– Toutes les informations sur le projet «Laâroussa» sont disponibles dans le site: www.dreamcitytunisie.com