Plutôt "la faillite" qu'une cure d'austérité sans perspective : parmi les protestataires massés devant le parlement qui débat du nouveau plan d'austérité censé aider le Grèce à s'extraire du bourbier, le dilemme n'effraie pas. "Les Européens nous disent qu'ils nous lâcheront si le plan n'est pas voté mais la faillite, on y est déjà. Toucher le fond nous permettrait au moins de remonter, alors que ce nouveau plan ne résoud rien", lance Anna Théodorou, une secrétaire de 38 ans. Passée en deux ans d'un emploi à plein temps à un travail plus que partiel "pour 200 euros par mois", avec un mari dont le salaire a été amputé de 100 euros, un crédit de 420 euros à rembourser chaque mois et un enfant de 16 mois à élever, Anna se sent "étranglée". Son amie, Angeliki Bakodimou, 36 ans, graphiste depuis 14 ans dans une boite de pub, sera licenciée en août. "Il y a du travail mais, avec la crise, mes patrons préfèrent embaucher un jeune sous-payé", enrage cette mère de deux enfants, aux sympathies de gauche. Elle vient pour la première fois protester au côté des "indignés" qui animent depuis fin mai une mobilisation se voulant citoyenne et hors-partis contre le nouveau tour de vis économique. Devant le parlement, les "indignés" se confondent avec les manifestants des grands syndicats traditionnels, qui concluent le premier défilé prévu d'une grève générale de 48H contre le vote du plan, attendu mercredi. "Regardez-moi ce déploiement de force, c'est ridicule", proteste un peu plus loin Panayotis Bakossis, 70 ans, ancien marin et forgeron. Face aux "indignés" et à leurs appels à encercler le parlement, la police a déployé autour du bâtiment un impressionnant dispositif, ce qui n'a pas empêché des groupes de jeunes d'opter pour l'affrontement. La riposte des forces de l'ordre a noyé en début d'après-midi la place sous un épais nuage de gaz lacrymogènes. "C'est 50/50 entre ceux qui veulent la bagarre et ceux qui veulent garder le caractère pacifiste de la manifestation", note l'un des campeurs indignés, Felipe, un étudiant espagnol de 23 ans. "La violence, ce n'est pas une solution mais il faut continuer à résister, même les Turcs n'ont jamais imposé aux Grecs de tels impôts", s'offusque M. Bakossis. "Moi j'ai toujours payé, les autres, les gros jamais rien, ça suffit", lâche-t-il, envisageant de tourner le dos à ses sympathies communistes d'antan et de soutenir l'opposition de droite. Le chef de la droite, Antonis Samaras, qui s'oppose aux recettes gouvernementales en dépit d'asphyxiantes pressions de sa famille politique européenne, "dit des choses bien pour relancer le pays, il nous faut un patriote, l'Europe on ne peut pas compter dessus", commente M. Bakossis. "Un patriote" pour sortir le pays de l'ornière, c'est aussi ce que souhaite Giorgia, 58 ans, retraitée pour 1.100 euros par mois d'une société pharmaceutique. Selon cette sympathisante du parti socialiste au pouvoir, le nouveau ministre des Finances, Evangélos Vénizélos, ferait l'affaire "à condition qu'on lui délie les mains". En l'état, le plan qu'il s'est engagé à mettre en oeuvre "va aboutir au pillage du pays et tout ca pour quoi, pour rajouter de la dette à la dette, tous ces prêts (de l'UE et du FMI) ne servent qu'à enfoncer davantage le pays", s'insurge Giorgia. Son fils ainé a dû s'expatrier à Londres "pour un salaire décent", sa cadette est au chômage depuis un an et demi : "ce serait peut-être mieux, dit Giorgia, de vivre avec beaucoup moins d'argent mais dignement, et en décidant de notre sort".