• Ecrit à trois mains par l'auteure en question, ainsi que par l'ancien ministre Chedly Klibi et l'historien Noureddine Hached, fils du grand syndicaliste et époux d'Anissa El Materi Hached, l'ouvrage répond à la curiosité du public dont les connaissances à propos des activités politiques de ce personnage de grande dimension sont succinctes et, même, sommaires A l'appui d'un long et patient travail puisé dans les archives familiales et nationales et en hommage à son père, Anissa éclaire d'un jour nouveau et de manière très attachante ce père dans ses moments de grande volonté, de courage, de détermination et en même temps de tendresse et de faiblesse. Mohamed El Materi (décembre 1897- décembre 1972) est le descendant direct d'un janissaire grec de confession chrétienne, arraché aux siens sur l'île grecque de Kos, ramené à Tunis, converti à l'Islam et destiné comme la plupart des Mamelouks à servir dans l'armée, l'administration et la politique. Arrivé en Tunisie en 1680, sous le règne de Mehmet Pacha, le Mouradite, ce bel homme blond aux yeux couleur de ciel qui répondait au nom de Stankuly a aussitôt gagné les faveurs du bey. Se croyant tout permis, il poussa l'audace jusqu'à séduire une captive italienne appartenant au harem beylical. Furieux, son maître ordonna son exécution. Fuyant le courroux royal, le mamelouk s'installe à Mateur où il épouse une veuve indigène, mère de deux garçons et devient ainsi El Materi, le premier d'une lignée dont le destin allait finir par se confondre avec l'histoire contemporaine du pays. Ainsi et comme l'a écrit Chedly Klibi dans sa préface, le docteur Materi aurait pu, avec un peu de chance, être le fondateur de la Tunisie indépendante qu'il aurait sans nul doute façonnée autrement, à sa propre image. Elle aurait été plus sereine, plus apaisée et plus conforme avec les valeurs humanistes. Certes moins rutilante, mais elle n'aurait pas vécu les secousses dramatiques, et parfois tragiques, qui devaient fatalement ponctuer le règne mouvementé de Bourguiba. Le docteur Materi a été le premier président du Néo-Destour et membre du groupe des cinq fondateurs avec Habib Bourguiba, son leadership ne dura certes que trois années, mais ce furent trois années fondatrices pour l'avenir de la Tunisie combattante et indépendante. Mais Materi avait une haute conscience de sa valeur du rôle historique de président du Néo-Destour. Aussi chercha-t-il longtemps à éviter la rupture avec son jeune compagnon, Bourguiba, qu'il considérait comme son ami et son protégé. Désespérant de l'amener à une plus juste conception de leurs rapports, il finit par claquer la porte. Sur les démêlés, la plupart du temps feutrés et étouffés sur la stratégie à adopter face aux tenants du colonialisme, Dr Materi a fini par claquer la porte sans esclandre ou tapage, prétextant une allitération de son état de santé. A ce conflit de stratégie à l'origine d'une rupture consommée entre les deux hommes, il faut ajouter une incompatibilité de caractère et une radicale différence de personnalité. Bourguiba, bouillonnant d'impatience, était imbu de sa personne et convaincu de sa supériorité sur tout le reste; l'autre, avec un sentiment profond de sa dignité, était altruiste et liait ses choix politiques à ce qu'il estimait comme les intérêts du peuple, sans pour le moins chercher un quelconque tremplin pour ses ambitions personnelles. Les flash-back sur le parcours de ce leader nationaliste, le politique, le journaliste (à Paris, il a collaboré dans les colonnes de Clarté d'Henri Barbusse et Le Populaire dont le directeur était le petit-fils de Karl Marx), l'homme d'Etat et ministre de Moncef Bey dès 1941, membre du gouvernement Chénik en 1951, acteur politique au sein de l'assemblée constituante à l'Indépendance et enfin ministre de la Santé publique en 1956, Dr Materi aura incarné tous les rôles à partir de l'amant follement épris de la mère de ses sept enfants, Kmar Riahi, à celui du brave père de famille. A travers les instantanés d'une vie extrêmement remplie en rencontres très intéressantes et en amitiés très solides ainsi que celles nouées avec des écrivains de renom tels Georges Duhamel, Anatole France, Romain Rolland, ou d'artistes-peintres célèbres, comme Jules Romain, Aly Ben Salem, Hédi Turki, ou politiques, à l'instar des frères Bach Hamba. Anissa El Materi Hached a fait la surprise au lecteur en révélant des à-côtés qui ne sont pas sans le surprendre. En effet, en 1924, alors qu'il était en 4e année de médecine à Paris, il eut pour «camarade» de chambre le grand révolutionnaire vietnamien, Hô Chi Minh. C'était dans le Quartier latin dans la rue Gay-Lussac. D'autres révélations et mises au point désormais incontournables sont nécessaires pour comprendre le complot contre la sûreté de l'Etat dans lequel était impliqué un groupe d'officiers supérieurs dont le neveu du leader, Moncef El Materi, seul rescapé de la peine de mort et libéré après dix ans et quatre mois de bagne suite à la grande influence exercée par Mme Wassila Ben Ammar sur le président Bourguiba. C'était en avril 1972. L'histoire, cet éternel recommencement, refait surface avec Sakhr, le fils de Moncef qui, avec sa mésalliance avec le président déchu, pourtant décriée par l'ensemble de la famille, a jeté l'opprobre sur un nom et un clan pourtant au-dessus de tout soupçon. * Mahmoud El Materi, pionnier de la Tunisie moderne, de Anissa El Materi Hached — Sud Editions — Mai 2011 - Tunis