«Sans doute avons-nous besoin aujourd'hui de la poésie, plus que jamais. Afin de recouvrer notre sensibilité et notre conscience de notre humanité menacée et de notre capacité à poursuivre l'un des plus beaux rêves de l'humanité, celui de la liberté, celui de la prise du réel à bras-le-corps, de l'ouverture au monde partagé et de la quête de l'essence.» Mahmoud Darwich C'est devant un public peu nombreux, composé d'avertis et de connaisseurs, que la troupe "Ajrass" (cloches), dirigée par Adel Bouallègue, a assuré la soirée du mercredi 13 juillet des «Nuits de Carthage» au Palais d' El Abdellia . «Présence de l'absence» (fi hadhrat al ghiyab), un titre éponyme renvoyant à l'œuvre prosaïque (2006) de Mahmoud Darwich. «Nous avons commencé par le recueil du poète Mahmoud Darwich, parce que nous avons trouvé que nombreux sont ceux qui ont senti le besoin de parler de la présence de l'absence. Rina Lasnier, poète québécoise, a ouvert les portes sur ce questionnement en 1956, et puis tout le reste en a découlé», nous explique-t-on. A l'image de Marcel Khalife avant, le groupe "Ajrass" rend, ainsi, à travers ce titre, hommage au poète disparu et à d'autres encore. Après un retard (devenu coutumier dans nos festivals!) de plus de 30minutes, les membres de la troupe rejoignent la scène. Composé de Adel Bouallegue à la direction et au luth, Donia Hattab à la flûte traversière, Rahma Adbennadher (alto), au violon Akram Slim et Meriem Souissi au cello, Ahmed Abida, Skander Ben Abida à la clarinette, Tarak Chibani au saz (luth d'origine persane), encore un luthiste, Youssef Hilaoui, Seif M'rad à la guitare, Hichem Kassaoui à la basse, les deux percussionnistes, Jamel Bejaoui et Marwen Abouda, à la batterie, Ali Abbassi et les choristes, Fatma Ezzahra Kammoun, Souha Bouallegue, Anissa Chaâbane et Atef Harmassi, l'ensemble nous a proposé le morceau prologue «Inkissaratt» (fractures), soutenu surtout par le son de la percussion, du violon et de la flûte traversière. La jeune Inès Chaâbeni entre en jeu, par la suite, pour déclamer théâtralement les vers de Mahmoud Darwich rejointe de suite par le chorégraphe Welid Khadhraoui, qui se libère de sa geôle (ou seconde peau?) en plastique noir (sac poubelle) installée au milieu de la scène, nous livrant un dialogue d'idiomes tout en émotion. La troupe enchaîne avec les morceaux «Jidareyet» et «chatet» (éparpillements). «La révolution tunisienne, première révolution post-moderne, a donné à l'histoire un nouveau souffle qui s'éparpillera un peu partout dans le monde», déclare Adel Bouallegue dans ce sens. Ce sont leurs multiples pérégrinations qui leur inspirent leurs compositions. «Nassaimou ethalj» (brises de neige), l'excellent morceau, qui a suivi, est dédié à des agriculteurs, rencontrés à l'intérieur du pays «qui se contentent de peu et qui demeurent dignes», nous dit encore Bouallegue. Suivent les deux chansons «Gharib» (étranger) et «Ghouraba» (étrangers), un titre sur une enfance oubliée, chanté par le jeune percussionniste Marwen Abouda avec une grande émotion confirmée par une voix intense. La troupe clôt la première partie par un autre poème de Mahmoud Darwich, admirablement joué et par le titre «Ajrass» dédié à une femme et chanté par Fatma E. Kammoun qui entraîne le public par la fraîcheur de son interprétation. Le reste de la soirée a été dédié à l'auditoire, sensible au répertoire de la troupe et qui est venu fredonner du Marcel Khalife, du Cheikh Imam et d'autres encore. «Rita» (texte de Darwich), «el bahr yadhhak» leur dit Bouallegue, et c'est en chœur que lui répondent certains, pour finir par entraîner tous les présents dans des chansons collectives, en hommage à tous ces présents-absents.