Mercredi 24, le temps est lourd et chaud à Tunis, sur les hauteurs, à l'Esplanade du musée de Carthage,‑l'Association Hippocampe — Art et Citoyenneté a invité la troupe Tutti Quanti. Théâtre au programme‑: l'Assemblée des femmes d'Aristophane adaptée par Robert Merle Un public nombreux, attentif, curieux, apparemment acquis à la cause, l'air est moins pesant qu'en ville, un site merveilleux, que demande-t-on de plus‑? Du beau spectacle, une brise rafraîchissante. On a eu les deux, le rire aussi. Le credo de l'Association est généreux, Nadia Ghrab, sa présidente, expose ses louables objectifs …Cette soirée marque le passage d'un rêve un peu fou qui habitait nos esprits à un début de réalisation concrète de ce rêve… nous croyons qu'il est possible de construire une Tunisie plus belle, prospère, plus juste... Hippocampe — Art et Citoyenneté a pour objectif de contribuer au développement régional par la promotion d'un tourisme culturel et solidaire. A moyen terme, l'association s'est donné pour but de créer un festival culturel multidisciplinaire, qui attirerait des touristes d'un genre nouveau dans la région de Tozeur. A court terme, elle souhaiterait contribuer à la bonne humeur et au rire, à sensibiliser la population aux élections du 23 octobre. En acte 1, Tutti Quanti a été choisie pour interpréter la pièce, sur le mode de la Commedia dell'arte que la compagnie affectionne, l'acte 2 consiste à traduire la pièce en arabe dialectal, à l'adapter au contexte actuel tunisien et la faire jouer par de jeunes comédiens de Tozeur. La recette des billets d'entrée devra financer le montage de la pièce en arabe, autrement dit, la culture qui va à la rencontre de la politique. Dans ce sens, la pièce connue d'Aristophane, L'Assemblée des femmes, qui a traversé les siècles avec la même fraîcheur, est tout indiquée pour illustrer les débats qui agitent la cité, elle fait partie du répertoire classique qui ne vieillit pas. L'auteur dramaturge, qui a écrit des pièces dénonçant le parti de la guerre, est éminemment connu pour être la figure qui incarne la critique de la politique par la comédie (Lysistrata, La paix…). Place au pouvoir des femmes. Guerre ou paix Nous sommes au Ve siècle avant J.-C., la guerre du Péloponnèse oppose les Athéniens aux Spartiates. Devant le public de Carthage, en plein air, face à une vraie colonne, se dresse le décor simple qui comprend deux portes blanches sous un fronton, des colonnes, une agora. Une sérénade entre deux amoureux est rompue par la décision des sénateurs qui préparent un vote pour déclencher la énième guerre contre Sparte. Mais cela sans compter avec les femmes, conduites par Praxagora qui souffre et s'indigne de tout ce qui se passe dans notre cité. Ensemble, de nuit, elles quittent une à une leurs maisons, déguisées, portant les manteaux et chaussures de leurs maris, barbes et voix viriles, elles voteront en place et lieu des hommes, forçant ainsi l'assemblée à faire la paix. Triomphantes, elles prennent le pouvoir. Et puis‑? Leurs maris découvrent la ruse, les femmes se mettent d'un côté, les hommes de l'autre, c'est la séparation. Suit une série de scènes comiques avec des clins d'œil au mur de Berlin, à la politique Bling Bling, etc. Le pouvoir acquis, les difficultés commencent. Investie d'autorité, Praxagora ordonne que tous les citoyens mettent leurs biens en commun, que ni l'un ne soit riche ni l'autre pauvre et que toutes les femmes soient communes à tous les hommes…Autant dire que nous sommes dans un phalanstère décrit par Fourier, des répliques savoureuses et utiles par ces temps sont déclamées. Exemple «que l'intérêt de la Cité prévaut sur l'intérêt personnel», ou «que veux-tu que je fasse? Il faut faire tout son possible pour savoir servir l'Etat quand on est des bien pensants», par les temps qui courent dans notre pays, on aimerait bien entendre souvent, des phrases pareilles. Et surtout qu'elles soient appliquées. La politique est une chose sérieuse qui ne devrait pas être mise entre les mains de gens maladroits. C'est le but de la pièce. Le temps est vite passé, les sept comédiens de Tutti Quanti ont trouvé le point d'union de la force et de la douceur, du sérieux et du comique du discours pour nous plonger dans l'univers mordant et railleur d'Aristophane. Le public a ri et réfléchi, le débat continuera à Tozeur ou Douz. La troupe, apparemment heureuse de contribuer à l'entreprise de l'association Hippocampe-Art et Citoyenneté, quitte l'agora sous une pluie d'applaudissements.