Par Soufiane BEN FARHAT Il faut avoir vécu sous les anciens régimes pour apprécier le phénomène à sa juste valeur. Plus de 1.700 listes électorales postulent aux élections de l'Assemblée constituante du 23 octobre prochain. Oui, assurément, il s'agit bien d'un phénomène manifeste. Qui plus est près de 40% de ces listes seraient constituées d'indépendants. C'est on ne peut plus révélateur sur la vitalité politique de la place revigorée par la Révolution du 14 janvier 2011. Aujourd'hui et maintenant, les Tunisiens prennent un rendez-vous essentiel avec l'histoire. Certes, on en est encore au stade des préalables fondamentaux. La Révolution du 14 janvier ne prendra définitivement corps qu'avec l'apparition de nouvelles institutions sur la base d'une nouvelle Loi fondamentale. Celles-ci et celle-là dépendront de l'élection de l'Assemblée constituante. C'est-à-dire sur la base de l'expression de la souveraineté populaire. Une souveraineté adossée au suffrage universel, direct et secret, bien évidemment. La démocratie est ainsi faite. Elle procède par étapes. Ce qui n'exclut guère les à-coups, les hauts et les bas, les grands bonds en avant ponctués de reculades et de remises en cause. Aujourd'hui cependant, l'irruption manifeste des indépendants sur l'échiquier politique incite à s'interroger à plus d'un titre. Qui fait quoi sous nos cieux ? On a assisté depuis la Révolution au raz-de-marée des partis nouvellement constitués. Ils sont désormais plus de cent cinq partis politiques à occuper les devants de la scène et à meubler le ban et l'arrière-ban de la colonne politique. Ces partis recueillent-ils pour autant les faveurs du grand public ? La question est légitimement posée. Certaines études sérieuses et autres sondages d'opinion exhaustifs ont démontré le peu d'estime dont jouissent les partis auprès du commun des mortels sous nos cieux. Pis, leur indice de notoriété spontanée est encore très faible. Et la notoriété assistée ne fait valoir qu'un petit groupe de partis qui se comptent sur les doigts de la main. Quant à l'indice de confiance des hommes politiques, supposés être comme tels, ou se déclinant sous ce statut, il est encore hypothétique. C'est étrange mais c'est ainsi. La place souffre du manque flagrant d'hommes charismatiques. Il se trouvera quelques inconditionnels séides et partisans pour soutenir le contraire. Mais les évidences politiques ont ceci de particulier qu'elles doivent se retrouver auprès du citoyen lambda. Reste la question des indépendants. S'ils représentent aujourd'hui un peu moins de la moitié des candidats, c'est fort révélateur de l'état de l'esprit général. Nul n'ignore en effet qu'au lendemain immédiat de la Révolution du 14 janvier, tout a été fait pour favoriser l'emprise sinon la mainmise des partis politiques. Du sur-mesure politique en somme. Des considérations partito-partisanes non avouées y avaient présidé. Pourtant, le peuple a imposé son agenda. Il a infléchi à sa manière le cours des choses. Il a tourné le dos en partie à la galaxie des partis pour imposer l'univers des indépendants. D'où la question : Qui aura raison au bout des élections ? Les partis ou les indépendants ? Les observateurs scrutent les évolutions avec intérêt. Ne nous y trompons pas. Les élections de l'Assemblée constituante du 23 octobre donneront lieu à une profonde impulsion de l'observation de la sociologie politique. On n'est certes pas en train de réinventer la roue. Mais nous ressemblons un peu à ce personnage qui se fait photographier pour la première fois. Il se connaît déjà, c'est évident. Mais il s'ausculte sous un regard détaché et neuf. Il pourra être effrayé par certains tics, telles grimaces ou traits invisibles de l'intérieur. Mais il finira par s'accepter. On ne se refuse guère, au risque de se dédoubler par moments. Aujourd'hui, la Tunisie est en passe de s'ausculter pour la première fois d'une manière détachée et réelle. Loin des prismes déformants des logomachies et autres discours en trompe-l'œil. Et c'est tant mieux. Au risque de s'effrayer.