Je ne suis pas sûr que le Tunisien soit bien conscient des raisons objectives qu'il a d'être fier de sa tunisianité. En remontant à la nuit des temps et à l'aube où la conscience humaine commençait à découvrir les questionnements existentiels et les préoccupations métaphysiques, les préhistoriens ont identifié, en Tunisie, le plus ancien édifice religieux connu de l'humanité : l'Hermaïon d'El Guettar (près de Gafsa) qui date de près de 40 000 ans. Notre Carthage punique avait déjà des institutions politiques qui se caractérisaient par un pouvoir collégial, certes aristocratique, mais extrêmement méfiant à l'égard des pouvoirs personnels, militaires ou civils. Ces institutions comprenaient une assemblée populaire, élue, qui jouait un rôle prépondérant. Aussi bien les suffètes que les généraux étaient, eux aussi, élus. Voilà plus d'un siècle et demi (1846) la Tunisie abolissait l'esclavage, presque simultanément que la France et bien avant les Etats-Unis. Elle fut ainsi le premier pays musulman à le faire. Quelques années plus tard, notre pays promulguait la première Constitution du monde arabe (1861) conçue et rédigée par Ibn Abi Dhiaf et le réformateur Khaïr-Eddine Bacha. En 1924, M'Hamed Ali El Hammi créait, en pleine période de protectorat, le premier syndicat ouvrier d'Afrique et du monde arabe : la Confédération générale des travailleurs tunisiens (CGTT). Cinq mois après l'Indépendance (20 mars 1956) et concrétisant les idées émancipatrices de Tahar Haddad, la Tunisie promulguait le Code du statut personnel qui permettait à la femme tunisienne de recouvrer sa dignité, prenant ainsi une avance de plusieurs siècles sur ses sœurs musulmanes, nées sous d'autres cieux (cf. N.B.*). On peut alors se demander, sans fausse modestie, si cette série d'événements à caractère universel constitue de simples accidents de l'histoire ou si elle reflète le génie profond de notre peuple ? Je ne suis pas sûr non plus que le Tunisien soit bien conscient de l'exceptionnel moment historique qu'il est en train de vivre aujourd'hui. Certes, la disparition brutale et inattendue d'une voyoucratie maffieuse a entraîné un certain désordre qui nous inquiète et nous angoisse. Mais au regard de l'Histoire, ces dérapages constituent des détails. L'important est la réussite de la transition démocratique qui constitue un moment crucial et délicat. Il faut savoir que toutes les révolutions n'ont pas réussi (la bolchévique, l'iranienne, la cambodgienne…). Le premier pas vers la démocratie est la réussite des élections du 23 octobre prochain. Il faut aller voter !! C'est un acte primordial de citoyenneté. Il faut pousser vos connaissances, vos proches, vos amis, vos voisins, vos collègues à le faire. Même ceux qui ne se sont pas inscrits peuvent voter en allant à la circonscription correspondant à l'adresse qui figure sur leur carte d'identité nationale. Une participation modeste aux élections serait un bien mauvais départ pour la démocratie que nous voulons tous du plus profond de nous-mêmes et un regrettable signal que nous enverrons au reste du monde qui nous observe mi-étonné, mi-admiratif (cf. la ‘'standing ovation'' du Congrès américain,…). Il faut savoir qu'il existe aujourd'hui des démocraties dans des pays musulmans (Indonésie, Malaisie, Turquie,…). Il faut savoir qu'il existe, aussi, des démocraties en Afrique subsaharienne (Sénégal, Niger, Afrique du Sud,…). On peut alors se demander par quelle tare culturelle ou atavisme historique rétrograde aucun pays arabe n'est parvenu à la démocratie ? Sachons, là aussi, être au rendez-vous de l'histoire, comme nous l'avons déjà été à maintes reprises dans le passé. Sachons être le premier pays à avoir su concilier arabité et démocratie. Sachons nous donner une raison supplémentaire d'être encore plus fiers de notre profonde et millénaire tunisianité ! M'Hamed Ali SOUISSI (Ancien maire d'Hammamet) (*) N.B. : Par un double abus de pouvoir, Bourguiba, alors Premier ministre, signait en août 1956, et sans être mandaté pour cela, le décret beylical promulguant le CSP. ‘'Sidna'' Lamine Bacha Bey refusait de ratifier une décision historique qui, manifestement, le dépassait. Craignant les pinaillages et les ergotages sans fin de l'Assemblée constituante de l'époque, Bourguiba a tout simplement court-circuité cette dernière, en évitant de lui soumettre le texte fondateur de la Tunisie moderne. Il est fort probable qu'un référendum sur le sujet, à l'époque, aurait été négatif. Au risque de céder au plaisir de la formule provocante, je dirais que c'est par un double viol constitutionnel que la femme tunisienne s'est, enfin, libérée. Un vrai Chef devance son peuple; il ne le suit pas !