Par Habib Ben Younes* Je ne voudrais pas aborder un sujet qui me semble être tabou, depuis la nuit des temps, celui d'un peuple qui ne semble pas vouloir, sciemment, aborder ses origines ou du moin l'origine de la majorité de sa population, mais j'y suis tenté. La Tunisie, pays arabo-musulman, soit, quoiqu'il ne faille pas oublier nos compatriotes de confession chrétienne et surtout juive, mais arabe de race ou de culture ? Sans prétendre remonter le cours de l'histoire, une promenade dans notre beau pays peut me mener de Tabarka à Teboursouk, Thibar, Tebourba, Tunis, Tebornouk, Tamezrat, pourquoi pas Taflefert ou Tafekhsit ou Tazogrhran, Takrouna pour se diriger vers Teboulba, avant d'aller à Thala, Thelepte et revenir vers Thyna, Teboulbou, avant de s'arrêter à Gabès pour la fête de Tacapes à Tajerjemt, Tamerzet, Tamerza, Tamaghza, Tchine, avant d'aboutir à Toujane puis à Titaouine. Du Nord au Sud, des toponymes libyco-berbères, en choisissant uniquement ceux qui commencent par la lettre T, alors que dire si on reprend toutes les lettres de l'alphabet. Un pays qui a donné son nom a tout un continent l'Afrique, Africa, qui dérive du nom d'une tribu autochtone, Afri, qui vivait dans la moyenne vallée de la Medjerda, peut-il à ce point renier ses origines. Jugurtha est-il réduit à un cyber festival, et une «Table» monumentale desservie par notre oubli. Mkwsn ou Micipsa, le prince puis roi numide, fils de Msnsn, Massinissa, qui revendiquait à Carthage la terre de ces ancêtres, fils de Gaïa le suffète de Thugga, notre Dougga d'aujourd'hui, ne sont-ils pas nos ancêtres, leur villes royales Zama Régia, Bulla Régia, leurs temples qui surplombent les hauteurs du Nord-Ouest sont ils uniquement des produits touristiques? La Carthage «phénicienne» fondée en 814 av. J.-C. n'est-elle pas devenue la Carthage «punique», civilisation propre à l'Afrique qui a mêlé le sang et la culture de l'Orient à l'Occident et la culture libyco-berbère ? Hannibal qui revendiquait une africanité face à Massinissa qui revendiquait une autre n'avait-il pas peut-être du sang libyque dans ses veines ? Si l'on s'arrête au fameux «Trois mille ans d'histoire», slogan à la peau dure qui a traversé, sans encombre, la révolution du 14 janvier, on jette aux orties la civilisation capsienne, celle de Capsa, notre Gafsa, civilisation qui distingue entre autres notre préhistoire. On peut, sur la lancée, ré-enfouir l'Hermaïon d'El Guettar, l'un des premiers monuments religieux de l'humanité et dire qu'il n'appartient pas à votre histoire. Si l'on se réfère au sens littéral du terme «Histoire» qui est en rapport avec les documents écrits, les sources antiques, on peut effectivement dire qu'avec la fondation de Carthage, nous entrons dans l'histoire écrite, mais non pas dans la civilisation. L'histoire d'un pays ne peut commencer avec un acte fruit d'une colonisation, aussi glorieuse soit-elle. D'ailleurs, les Phéniciens, à leur arrivée, n'ont-ils pas négocié avec une autorité locale, selon la légende, Hiarbas, roi des Muxitains, qui a voulu épouser Elissa. En bref, notre civilisation dépasse le cadre chronologique de «l'Histoire» telle qu'elle est définie. Oublions l'antiquité et son histoire pour survoler la période islamique, un survol qui nous mènera à Gibraltar, oui Djabel Tarek, du nom de Tarek Ibn Ziyad, le conquérant de l'Espagne, Tarek «le berbère», relisez l'histoire ; c'est à la tête d'une armée, majoritairement berbère, que les portes de l'Espagne, la future Andalousie, furent ouvertes. Nos Fatimides de Mahdia qui conquirent l'Egypte ne purent asseoir leur autorité que grâce à la tribu berbère des Koutama. Venons-en aux Hafsides, dont la capitale sera Tunis, Tunes, un retour aux sources, ne sont-ils pas les descendants d'Abu Hafs Umar Ibn Yahya Al Hentati? Tout est histoire et revient à l'histoire. Dans les discours politiques ou autres, d'hier et surtout d'aujourd'hui, nulle référence à nos origines. Les Français ne sont-ils pas fiers d'être Gaulois et même aujourd'hui Celtes dans certaines régions ou d'origine armorique? Allons-nous oublier nos ancêtres? Il ne s'agit pas d'un plaidoyer pour la création d'un parti berbérophone, et pourquoi pas dans un cadre légal, ce qui ne semble pas être le cas, s'il y a des compatriotes qui le souhaitent, mais juste une référence dans notre Constitution dans un document officiel, pour l'histoire, pour son jugement qui ne pardonne guère, pour que les petits enfants des familles tunisiennes, Mazigh, Louati, Mzabi, Sanhaji, Kesraoui, Tebourbi, Hentati, Berber ou Tounsi et autres ne se sentent pas étrangers chez eux. Chassez l'histoire, elle revient au galop ou autrement dit «Kasskasslou….».