Quand on est observateur à Atide (Association pour l'intégrité et la démocratie des élections), on ne se rend pas dans les quartiers VIP. Ce sont les quartiers populaires comme Mellassine, Ettadhamen ou encore les no man's lands comme Jayara, du côté de Sidi Hassine, qui intéressent les bénévoles de cette association, une organisation non gouvernementale créée le 24 mars 2011, avec pour objectif la promotion et la protection des valeurs démocratiques, et tout particulièrement du droit de vote. C'est dire que l'Atide est, en ce 23 octobre 2011, dans son propre élément. Marwa Nefzi, jeune étudiante, est tout sourire dans ce petit centre de vote improvisé dans une petite école primaire perdue dans une zone démunie, accessible à travers une longue piste, parsemée de quelques pieds d'oliviers et de plusieurs dépôts d'ordures à ciel ouvert. Un coin oublié. Pourtant, les électeurs, hommes et femmes, étaient postés devant l'école depuis 6h30 du matin. «Depuis ce matin, la file ne fait que grandir ainsi que l'impatience des gens qui veulent voter au plus vite», indique Marwa. Ghassan Hamda, le coordinateur des observateurs de Atide sur Tunis II, vient prendre des nouvelles sur le déroulement du scrutin et lui apporter un sandwich. «Tout va bien, il n'y a rien à signaler sauf quelques problèmes de réseau, les SMS ne passent pas», précise-t-elle. Cette méthode de communication est adoptée par les observateurs de Atide pour tenir informé le coordinateur de tout ce qui se passe au sein du bureau de vote. Un rapport par message court est fait toutes les heures par chaque observateur. Après la fin de l'opération de vote et du dépouillement, un dernier rapport plus global contenant les résultats du scrutin est élaboré et remis au coordinateur qui est membre du bureau central de l'organisation. «Ce rapport est par la suite remis à l'Isie et publié dans les journaux; nous tenons à informer les Tunisiens de tout ce qui s'est passé en ce jour mémorable», explique Ghassan Hamda. Sur pied depuis cinq heures du matin, ce professeur de maths, fait le tour de tous les bureaux de la circonscription. Vers 16 heures, il a déjà parcouru plus de 600 kilomètres, et sa journée n'est pas encore terminée. C'est une mobilisation d'au moins 36 heures, c'est-à-dire jusqu'à lundi vers 13 heures. Atide compte 2100 adhérents, ils sont tous mobilisés comme observateurs des élections de la Constituante, une vingtaine d'entre eux formant le bureau central font la coordination entre tous ces observateurs répartis sur toute la République. Affluence record dans le fief des salafistes qui ont boycotté les élections Deuxième étape, cité Ettadhamen. Ecole primaire Al Joumhouria 1. Trois longues files, en double, remplissent la cour de l'école. Il est 15h30, des centaines d'électeurs attendent encore de voter. Les plus bruyants, hommes et femmes, sont ceux qui ne se sont pas inscrits et qui veulent à tout prix voter là où ils habitent. Les raisons invoquées pour expliquer la non-inscription sont diverses, mais une seule est évoquée pour justifier cette volonté de voter : «Nous aimons notre pays, nous voulons l'aider et participer à la construction de l'avenir de nos enfants». L'affluence est inattendue. Ettadhamen est connu pour être le fief des salafistes qui boycottent ces élections et qui ont essayé auparavant de dissuader leurs voisins, leurs amis et proches d'aller voter. En allant voter en masse, les habitants d'Ettadhamen ont répondu à leur façon. «Ce qui m'inquiète, ce sont les votes anarchiques, par ignorance, ils pourraient ne pas être utiles», confie Moez Mouelhi, agent dans une entreprise privée. «Les gens n'étaient pas confiants au début; après, en voyant cette affluence, ils ont changé d'avis et maintenant ils sont là, ils veulent voter», ajoute-t-il. Le coordinateur des observateurs de Atide a rendez-vous avec une journaliste de Libération pour une visite guidée dans les bureaux de vote. Troisième étape, Mellassine, école primaire 2 Mars 1934. Même scénario devant les bureaux de vote. On ne se bouscule pas mais on s'impatiente. «Je crains de ne pas pouvoir voter, il commence à faire tard». Le coordinateur s'enquiert de la santé d'un des observateurs de Atide handicapé. Ce dernier est heureux d'être là et refuse rentrer chez lui se reposer. Dans cette école, les responsables du centre de vote ont eu la bonne idée d'accrocher les listes des électeurs devant chaque salle pour permettre à ceux qui ne le savent pas de connaître la salle où ils vont voter. Dans la cour, des représentants de partis et des observateurs suivent le déroulement du vote. Quelques-uns d'entre eux sont agités. On parle de tentatives de fraudes commises par un parti dont les représentants ont essayé de soudoyer les électeurs en échange de quelques dinars. Ghassan Hamda reprend la route vers d'autres bureaux de vote. Il doit aussi aller voter. La soirée des observateurs, 14 mille au total accrédités par l'Isie, va être bien longue. Ils devront jusqu'au bout se conformer au code de conduite qu'ils ont signé: neutralité, intégrité et discrétion. «Une belle aventure, confie Ghassan, plein de stress, de fatigue et surtout d'émotions».