Par Khaled TEBOURBI Encore une fois les sondages ont fait bondir nos télévisions privées. «Hannibal» d'abord, qui célèbre méritoirement son cinquième anniversaire, mais qui n'arrête pas de s'offusquer de «ses 16%». Et «Nessma TV» maintenant, qui n'a pas une année de présence cathodique, mais qui trouve elle-même scandaleux qu'on ne lui attribue que trois. Sincèrement, on n'a aucune envie de prendre part à «la dispute». Quand les parties impliquées ne reconnaissent pas le sondeur à la base, c'est quasiment «ma parole contre la tienne». En somme l'impasse. Et un tohu-bohu qui ne rime à rien. Reste un chiffre : celui du mois de Ramadan, où — nous apprend-on — les chaînes tunisiennes cumulées font près de 91% de parts de marché! Ce chiffre, chose curieuse, n'est contredit par personne, alors qu'il s'agit d'une statistique à peine croyable dans un paysage télévisuel régional et mondial, en temps normal, très concurrentiel,pour ne pas dire franchement handicapant. Pourquoi accepte-t-on les sondages ici, et pourquoi les refuse-t-on hors du mois saint ? Petite gêne, non ? Décalage de mentalité Reste, aussi, une interrogation de profane : les 16% contestés sont-ils si catastrophiques que cela ? En comptant la population réelle des téléspectateurs, c'est-à-dire en excluant ceux qui travaillent, ceux qui regardent de manière occasionnelle, ceux qui regardent ailleurs et ceux qui ne regardent pas la télévision du tout (ça existe, oui !), les seize pour cent en question représentent un public de 800.000 à 1 million de clients fidèles. A l'ère des satellitaires, c'est un audimat exceptionnel. Une marque de réussite à donner envie à des télévisions beaucoup plus anciennes et beaucoup plus expérimentées. 16% d'audimat est un succès recherché, et un acquis, pour les chaînes médiaset en Italie, et des chaînes comme TF1 en France ou «showtime» en Angleterre. C'est dire donc. même question en ce qui concerne Nessma : trois pour cent d'audimat, n'est-ce pas un excellent début ? Même Canal Horizon à l'année de son lancement, et malgré ses «longs clairs» et ses matches de coupe d'Europe, avait eu du mal à faire pareil. A dire vrai, il y a décalage, ici et là, entre les mentalités et la profession. Techniquement, en termes de savoir-faire, les deux chaînes privées tunisiennes montrent — grosso modo — un niveau assez proche du standard international. Dans les têtes, au contraire, on reste, semble-t-il comme en deçà. Passe sur les rejets et les humeurs, passe sur les contradictions (Ramadan oui, hors ramadan non), ce qui embarrasse un peu, allez, disons ce qui déçoit, c'est que, ici comme là, on s'empresse de diffuser une sorte de propagande contraire : des témoignages qui viennent dénoncer les chiffres du sondage et «rectifier au pif», et à la hausse. Et l'on en a entendu de belles : des 80%, voire des 90 et 95% d'audimat. De l'auto-consécration. Ni plus, ni moins. Perte d'énergie, perte de temps Cette agitation, faut-il insister, ne mène nulle part. Sauf, peut-être, à leurrer provisoirement un public potentiel. Sauf (sans aucun doute) à leurrer les protagonistes eux-mêmes. Nous sommes en 2010 et au programme du Président Ben Ali, la question de l'évolution du paysage audiovisuel tunisien est considérée comme une des grandes priorités. Notre télévision (publique ou privée) a beaucoup plus besoin, croyons-nous, au lieu de focaliser sur des points de détails, de réfléchir aux divers problèmes de mise à niveau qui se posent désormais à elle. Tant au niveau des contenus culturels (une vraie stratégie nationale) qu'à ceux de la formation et des technologies numériques nouvelles. C'est cela qui doit nous préoccuper tous, et non pas des petites querelles d'audimat… et d'ego qui font perdre de l'énergie et du temps.