Après l'avoir reportée de 24 heures, les membres de l'Association tunisienne pour l'intégrité et la démocratie des élections, Atide, accréditée par l'ISIE comme association d'observation des élections du 23 octobre 2011, forte de 2 mille observateurs répartis sur 23 bureaux de vote régionaux, ont tenu, hier, la conférence de presse de présentation de leur rapport préliminaire d'observation. Déconcertant. Si les rumeurs de dépassements ont fusé de toutes parts — réseaux sociaux, médias et bouche-à-oreille —, dès le lendemain du scrutin, tandis que les observateurs internationaux faisaient l'éloge des premières élections arabes démocratiques, libres et transparentes, les preuves manquaient lourdement faisant douter de la véracité de certaines « histoires ». Hier, l'Atide disposait de quelques unes, en nombre suffisant, sous forme de documents, vidéos et photos, pour affirmer qu'environ 6 mille infractions de différents niveaux de gravité ont été relevées au cours des élections. Selon des statistiques générales préliminaires, 30% de ces irrégularités ont eu lieu dans les centres de vote et 25% dans les bureaux de vote. Leur nature porte sur une large gamme de dépassements allant des problèmes de scellés (un cinquième des dépassements), de désorganisation totale des bureaux de vote (50%), de l'absence ou la non utilisation systématique de l'encre indélébile (5% des centres de vote), de la mauvaise disposition des isoloirs ne protégeant pas le secret de vote (un cas sur dix), et de violation du silence électoral au sein de plusieurs bureaux de vote, pour arriver aux cas d'influence (un bureau sur cinq) et de connivence entre les représentants des partis politiques et les membres des bureaux (fermeture de plusieurs bureaux : Qatar, Italie, Abou Dhabi, Algérie, France... et intervention des forces de l'ordre notamment à l'Ariana, Ben Arous, Béja, Jbeniana). D'autres enquêtes sont toujours en cours, ce qui fait dire à Moez Bouraoui : «Nous ne sommes pas pressés de remettre notre rapport final, nous tenons à préserver notre intégrité et notre réputation, tout sera conforté par des preuves irréfutables». En France, les urnes se déplacent et ne sont pas scellées Parmi les preuves présentées à la conférence de presse, il y en a qui laissent pantois et méritent d'être suivies de près, par l'Isie notamment. Comme celle de Sarcelles Pantin (France), «l'urne emmenée au domicile d'un assesseur»; «urnes non scellées ou fermées avec un simple ruban adhésif dans plusieurs bureaux de vote en France»; «urnes déplacées pour la nuit dans un local échappant à l'observation à Annemasse»; «urne laissée sans surveillance à Toulouse» ; «observateurs écartés lors de l'écriture du PV final à Grenoble»; «vol du registre des électeurs non enregistrés à Créteil»; «des électeurs ont voté sans pièce d'identité à Toulouse». Dans le registre des violations, les observateurs de l'Atide ont également rapporté des votes groupés dans le même isoloir, notamment à Paris et Lille, prise en photo du bulletin de vote (à Genève), non interdiction du téléphone portable. Ils ont également constaté «dans certains bureaux de vote, des représentants de partis se substituer aux membres des IRIES pour la conduite des opérations de vote ». En Tunisie également, l'Atide a noté d'importantes violations: «dans le centre de vote d'El Kobba, El Menzah I, un individu s'est infiltré portant le badge d'un président de bureau de vote alors qu'il appartenait à un parti politique, le CPR »; « à Nabeul, une jeune fille de 16 ans a pu voter »; « un grand nombre de procès- verbaux portent beaucoup de ratures et de corrections au point qu'ils sont devenus illisibles et incompréhensibles »; sans oublier une vidéo qui montre un jeune muni d'un autocollant portant le nom et le sigle d'Ennahdha. Selon Moez Bouraoui, le plus grand nombre d'infractions a eu lieu dans les centres de vote, où se fait le dépouillement et le comptage des bulletins, une étape cruciale des élections, et essentiellement à l'étranger. Et selon la même source, divers partis politiques ont eu recours à des irrégularités au cours de ce processus électoral, c'est-à-dire pendant la pré-campagne, la campagne et le jour des élections. Sanction contre El Aridha...Et les autres ? Les infractions liées au financement politique illicite et à la publicité politique sont aussi nombreuses et sont pour l'Atide «un sujet de grandes interrogations auxquelles ils n'ont pas pu avoir de réponses ni de l'Isie ni de la Banque Centrale », souligne Moez Bouraoui. L'Atide a, nous affirme-t-on, procédé à la constitution d'une commission d'experts bénévoles pour suivre les dépassements en matière de financement de certains partis politiques. Un courrier a été envoyé au gouverneur de la BCT, mais il est resté sans suite. Par ailleurs, les membres de l'association ne cachent pas leur indignation vis-à-vis du silence et de la non prise de position de l'Isie par rapport aux dépassements constatés par tous, commis par certains partis en matière de publicité politique. Ce qui fait dire à Moez Bouraoui « la sanction d'annulation des listes ne devrait pas concerner El Aridha seulement, d'autres partis ont commis également des crimes politiques. Mais ils n'ont pas été reconnus comme tels. La loi doit être appliquée de manière égale à tous les candidats. Or, nous avons constaté, comme tout le monde d'ailleurs, que certains ont même eu recours à la justice pour justifier leurs dépassements ». Et d'ajouter « la liste El Aridha est pour nous aussi source de préoccupations depuis longtemps déjà, son opacité nous a poussés à mener des enquêtes et à vérifier les irrégularités. Nous approuvons la sanction mais nous refusons la non neutralité de l'Isie dans cette question ainsi que l'annonce de la sanction après les élections ». Beaucoup de faits demeurent sans explication pour les observateurs de l'Atide que l'Isie a accrédités pour être «ses yeux et ses oreilles » tout au long du processus électoral. A titre d'exemple, l'instance n'a pas réagi contre l'usage des lieux de culte, de l'administration, de l'université pour les campagnes électorales. Certaines décisions ont été prises par l'Isie dans la plus grande discrétion, sans que personne n'en sache les raisons, telle que la décision de lancer l'opération d'enregistrement manuel au moment où l'enregistrement volontaire commençait à prendre de l'ampleur. Afficher les résultats par centre de vote L'Atide a informé l'Isie d'un bon nombre d'irrégularités commises par plusieurs partis politiques qui ont gagné des sièges à la Constituante et demandé des explications à certaines interrogations. « C'est notre droit car l'objectif de notre travail est de garantir la transparence et la liberté des élections ». Les observateurs de l'Atide reconnaissent le rôle déterminant de l'Isie dans cette phase cruciale dans l'histoire de la Tunisie, et la difficulté de la tâche accomplie; si bien que l'Atide se prépare à déposer une requête auprès de l'Assemblée Nationale Constituante pour que cet acquis national, l'Isie, soit maintenu et même renforcé. L'Atide n'a pas le droit de faire recours. Toutefois, les candidats, listes, coalitions ou partis, qui voudraient le faire, l'Atide met à leur disposition les preuves dont elles disposent. Les Atidiens croient au changement, même s'ils estiment que les Tunisiens ont placé la barre de leurs ambitions très haut et qu'ils ne feront plus marche arrière. Leurs revendications sont claires: «Des sanctions contre les personnes responsables d'irrégularités prouvées quelle que soit leur appartenance et à l'Isie de dévoiler les PV par centre de vote pour que les vérifications puissent être faites avec les résultats généraux ».