Les revendications sociales, les grèves et les sit-in ont repris de plus belle après l'élection de l'Assemblée nationale constituante. La trêve aura été très courte. Les syndicats de base reprennent du poil de la bête et les entreprises économiques, déjà en difficulté, craignent une nouvelle période de tension, au moment où, grâce à des efforts considérables, les indicateurs commencent à virer au vert et à susciter de l'espoir chez les opérateurs économiques. La trêve a été très courte et il est aisé d'en comprendre les raisons. La première est l'inquiétude qui croît de jour en jour chez les Tunisiens, toutes catégories confondues, qui attendent des signes prometteurs de la part des nouveaux élus, des indices de lendemains meilleurs. Pour beaucoup, même s'ils sont conscients que les fruits de la révolution prendront du temps pour mûrir, ils ne cachent pas leur déception de ne rien récolter encore, même par petites doses. Ce sentiment est exacerbé par la marge de temps prise par les partis politiques vainqueurs aux élections pour se départager les fauteuils présidentiels et les portefeuilles ministériels. Certes, la tâche n'est pas aisée et un temps pour les négociations est indispensable pour démarrer le futur gouvernement provisoire sur des bases solides. Prendre les rênes du pays est à la fois un grand honneur et une lourde responsabilité que d'aucuns n'oseraient ni ne pourraient prendre à la légère. Mais les Tunisiens sont pressés de voir le bout du tunnel, d'embarquer sur la locomotive de la révolution, de se rendre compte que leurs sacrifices ont servi à quelque chose. Il ne s'agit pas bien sûr d'empressement ni d'impatience, mais de lassitude et de peur d'être de nouveau victimes de promesses sans lendemains. Avant et pendant la campagne électorale, les partis politiques n'ont pas tari de promesses à l'intention des chômeurs et des catégories faibles, au point que certains d'entre eux ont été accusés de manipulation. Après les élections, plus rien. Les partis politiques et même les indépendants qu'on a beaucoup entendus les derniers mois, ont vaqué à leurs occupations partisanes et professionnelles, scrutant avec le plus grand intérêt l'issue des tractations entre les futurs dirigeants du pays au point d'oublier, en apparence en tout cas, que tout ce qui se passe aujourd'hui est le fruit de la révolte de la jeunesse tunisienne contre l'oubli, l'humiliation, la marginalisation, la privation. Contre le chômage, la précarité, la frustration, l'inéquité sociale et régionale. Le chômage n'est pas le résultat de la révolution tunisienne mais sa principale cause. Ils étaient près de 500 mille chômeurs en janvier 2011, Ils seront un million à la fin de l'année, selon les dernières estimations officielles. Le tiers sont des diplômés du supérieur. Le taux de chômage des jeunes atteint 30% et celui des femmes 19% contre 11% pour les hommes. Un des objectifs de la révolution consistera à traiter, sans plus tarder, ce problème en profondeur dans une perspective durable loin de toute considération partisane ou calcul politique. Il s'agit de créer de l'emploi pour les années et les décennies à venir et améliorer les conditions de vie de tous les Tunisiens, indépendamment des sensibilités politiques des dirigeants et de la forme du régime qui sera mis en place. L'emploi est pour cela l'affaire de tous les Tunisiens et pas seulement de l'Etat. C'est dans un climat de confiance et de sérénité économique, sociale et sécuritaire que les investisseurs pourront investir, que les entreprises économiques pourront se développer et qu'il sera possible de faire de la croissance et par conséquent de créer des emplois. La tâche n'est pas si simple si l'on considère le déclin mondial du marché du travail et les crises successives qui secouent l'Europe et les Etats-Unis d'Amérique. Les promesses du G8, de l'Union Européenne et des Etats-Unis d'aider la Tunisie dans sa transition démocratique sont encore en vigueur, mais c'est sur leurs propres capacités et leurs propres moyens que les Tunisiens devront compter en premier. Ce petit pays aux grandes ambitions ne manque pas de compétences humaines, des technocrates aux expertises reconnues, qui pourront être chargées de ce dossier épineux qu'est l'emploi. Ils devront trouver les moyens de remettre le pays sur la voie de la croissance créatrice d'emplois et à même de maintenir les emplois existants. Cela sera possible si l'on cesse de faire de la politique avec l'emploi.