Par Amor Chermiti * Le secteur de l'agriculture a été et sera la composante principale de l'économie nationale. Cependant, même si la disponibilité des produits agricoles sur le marché national peut traduire que l'agriculture se porte bien, ceci ne doit pas cacher la fragilité des systèmes de productions dans le pays. En effet, durant cette dernière période où des pluies importantes ont été enregistrées, des dégâts importants sont constatés dans de nombreuses régions (pertes de récoltes suite à l'hydromorphie, pertes de terres suite à l'érosion hydrique, pertes de quantités importantes des eaux de ruissellement, etc.). De tels constats ne sont pas nouveaux aux agriculteurs et existent depuis de nombreuses années. D'ailleurs, et à titre d'exemple, dans la région de Jendouba, environ 30 à 40 mille hectares des terres des plus fertiles de la région peuvent ne pas avoir de productions, voire des productions limitées dans des conditions d'hydromorphie. Les milliers d'hectares de la grande plaine d'Elmabtouh dans la région de Mateur constituent également un autre exemple durant les périodes pluvieuses. Ces terres étaient des plus productives durant les années 60-70 du siècle dernier, alors qu'elles sont de moins en moins productives durant ces dernières années. Des situations similaires dans les autres régions productives au nord du pays et en années favorables (Béjà Nord, Bizerte, etc.). La question qui se pose alors, y'a-t-il des solutions techniques pour minimiser de tels dégâts? De même, si au cours des années pluvieuses, et surtout suite aux pluies d'automne, les dégâts sont importants, des conséquences similaires sont également constatées en années de sécheresse ; mais d'une autre nature. En effet, sous de telles conditions, les productions des cultures pluviales sont très réduites ; voire nulles. En conséquence, les importations des produits de base, céréales et aliments de bétail, notamment, sont de plus en plus importantes, entraînant des pertes importantes en devises. Le recours à la caisse de compensation est la solution engagée depuis des décennies. Les terres sont également de plus en plus dégradées et le plus souvent d'une manière irréversible. D'ailleurs, il est à rappeler que la Tunisie perd annuellement entre 15 et 20 mille hectares, et les travaux de conservation des sols n'ont eu que très peu d'impact sur ce phénomène. A noter que la Tunisie ne dispose que de seulement 5 millions d'hectares de terres agricoles, dont environ 1,5 million réservés aux céréales et 2 millions pour l'olivier et qui doivent subvenir aux besoins de tous les Tunisiens, aujourd'hui et demain, sans négliger la consommation des 4 à 6 millions de touristes par an. Ne fallait-il pas repenser notre agriculture et nous demander quelle agriculture de demain pour la Tunisie ? Nous ne prétendons pas apporter des solutions à tous ces problèmes que vit notre agriculture depuis des décennies; mais contribuer au niveau de la réflexion afin que les approches et les stratégies à moyen et à long termes soient de plus en plus efficaces et aient une nouvelle orientation. L'attribution aux effets des conditions climatiques sur la production agricole, souvent l'explication apportée par la plupart des responsables, doit être raisonnée autrement. En effet, les changements climatiques sont un fait réel et nous devons nous poser la question suivante : que faire pour minimiser les effets du climat ?. Pour les questions relatives à l'hydromorphie des régions au nord du pays, conséquence des pluies abondantes, la mise en place ou la réhabilitation des systèmes de drainage qui ont existé autrefois sont parmi les solutions efficaces pour sauver ces terres productives. De tels travaux ne sont pas à la portée de l'agriculteur et ne peuvent être réalisés que dans le cadre de programmes nationaux prioritaires (PNP). Les aspects relatifs à l'agronomie et notamment ceux se rapportant aux travaux des sols et les types de matériels utilisés constituent également un facteur primordial pour atténuer les effets de la sécheresse sur les cultures. Il est en conséquence primordial de raisonner en termes de conservation des sols et des eaux (CSE), comme c'est le cas dans les pays anglo-saxons: soil and water conservation, permettant ainsi de conserver, et d'une manière durable, les terres pour les générations futures. Les types de labour et le matériel agricole utilisés doivent être des plus appropriés à nos terres. Ne fallait-il pas interdire le matériel à disques qui est à l'origine d'une érosion éolienne et hydrique des sols et favoriser l'utilisation de matériels à dents. En effet, des travaux appropriés appliqués aux sols peuvent permettre une rétention importante des eaux, minimiser les pertes d'eau par évaporation, et en conséquence permettre à la plante de supporter la sécheresse. Une autre réflexion d'une grande importance également, est que la gestion de la sécheresse doit être raisonnée en années favorables traduisant ainsi que la meilleure gestion de la sécheresse est la gestion de l'abondance. En effet, la constitution de stocks, notamment pour les produits de base (céréales et aliments de bétail) en années pluvieuses permet leur utilisation durant les périodes de sécheresse. Mais, avons-nous développé l'infrastructure nécessaire pour la conservation des surplus de productions, en années favorables ?. Notre agriculture doit être plus productive, rentable et compétitive et d'une manière durable, tout en respectant la santé humaine et l'environnement. Ainsi, l'agriculture de demain sera celle d'assurer la souveraineté alimentaire, de promouvoir l'exportation et de respecter l'environnement. La mise en place d'une Commission nationale de réflexions stratégiques sur l'agriculture (Cnrsa) serait d'un grand intérêt pour le pays.