Par Mustapha CHOUIKHA (*) Suite à l'article paru sur les colonnes du journal La Presse dans son édition du vendredi 9 décembre 2011, intitulé «L'indépendance de la BCT, une vraie-fausse question», j'estime devoir apporter certaines précisions propres à éviter toute fausse interprétation de faits ou évènements historiques. La BCT était indépendante du pouvoir politique pendant au minimum les douze premières années de son existence. Elle l'était de facto et de jure. La loi organique qui l'a créée institue cette indépendance, caractérisée par l'absence de mainmise du gouvernement et des élus sur les décisions de la Banque, par l'interdiction faite aux dirigeants de la Banque de faire partie de l'exécutif ou des corps élus (ministres ou députés). Une obligation est faite au gouvernement de consulter le gouverneur de la BCT sur tout ce qui a trait ou a une incidence sur la monnaie ou l'équilibre monétaire. A la lecture des articles de la loi, les objectifs et les moyens de la politique monétaire sont établis par le conseil d'administration de la Banque. Cette loi organique date de septembre 1958, date à laquelle Ahmed Ben Salah quitte l'Ugtt et n'a aucune fonction gouvernementale. C'est en 1959 qu'il accède au ministère de la Santé et au début des années 1960 où on lui confie le ministère du Plan. Toute la politique du gouvernement porte, à cette époque, sur la planification économique. Le socialisme et la coopération ont vu le jour en 1964 au congrès du Néo-Destour de Bizerte. En 1958, à la création de la BCT, Bourguiba ne pouvait guère penser à l'expérience socialisante de Ben Salah six ans avant la naissance du socialisme et au coopératisme. Aussi, l'indépendance de la BCT par rapport au pouvoir politique n'est pas le résultat d'une méfiance de Bourguiba vis-à-vis de Ben Salah. Par ailleurs, le plafonnement des avances au Trésor à un maximum de 5% des recettes ordinaires de l'Etat au cours de l'année budgétaire écoulée et dont la durée totale ne peut excéder les 240 jours consécutifs ou non (article 50 de la loi de 1958) n'est pas intervenu au sortir de l'expérience socialisante en 1969. C'est un garde-fou décidé à la création de la BCT en 1958, soit onze ans auparavant. Pour ce qui est des banques publiques en Tunisie, il n'y avait que deux banques publiques (STB et BNA). Elles n'étaient point financées chaque soir par la BCT et, partant de là, rien ne justifie d'affirmer l'absence d'indépendance de la BCT. Ces deux banques, en finançant les grands projets de l'Etat, sont presque constamment insuffisamment pourvues en fonds. C'est pour cette raison qu'elles exercent un recours quasi-continu au marché monétaire, c'est-à-dire qu'elles sont financées par les banques prêteuses sur le marché monétaire international et non par la Banque centrale. La BCT n'intervient que pour fixer le taux d'intérêt. En outre, ces mêmes banques ne financent guère le trésor. Elles dispensent des crédits aux entreprises publiques et privées. Elles sont limitées par des cotes annuelles globales de refinancement arrêtées par la BCT au-delà desquelles tout crédit devient non mobilisable à la BCT et se trouve assujetti à un taux d'intérêt plus élevé. L'Etat n'a aucun droit de cité au financement bancaire. Pour son financement, l'Etat ne s'adresse qu'à la BCT, Le maximum que le secteur bancaire peut offrir à l'Etat est la détention et l'écoulement de bons du Trésor négociables auprès de leur clientèle. Ainsi, historiquement, il n'y avait aucune dépendance totale ou même partielle de la BCT vis-à-vis du gouvernement, du moins durant la première décennie de son existence. Il est proposé un triumvirat en vue de la fixation des objectifs de la politique monétaire. Je ne sais où ce modèle est pratiqué. L'essentiel est de savoir comment peut-on mettre en application une politique monétaire dont les objectifs sont conçus par des élus en vertu de la théorie de la démocratisation du système ? Des élus ont constamment tendance à satisfaire leur électorat, à adopter des objectifs ambitieux à cet égard. La politique monétaire est établie en considération des moyens dont dispose la BCT. Elle ne peut, par conséquent, voir ses objectifs décidés par un corps étranger à cette institution. Pour des objectifs ambitieux de politique monétaire, la BCT pourra se trouver en difficulté d'adopter les moyens conséquents à les atteindre. Il s'ensuit que l'indépendance de la BCT réside tant dans l'arrêté des objectifs que dans la décision des moyens appropriés à leur application, notions intimement liées, ne pouvant faire l'objet de décisions de corps séparés. Cette indépendance est actuellement une réalité instituée depuis 1958, consistant en ce que le conseil d'administration de la Banque, de par sa composition mixte (public et privé), se charge des objectifs, au même titre que des moyens, de la politique monétaire.