• Fortement armés et sûrs d'eux, les anciens insurgés n'hésitent pas à s'affronter à l'arme lourde TRIPOLI (Reuters) — Fortement armées et sûres d'elles, les milices des anciens insurgés sapent la fragile autorité de l'Etat libyen et n'hésitent pas à s'affronter à l'arme lourde, si bien que le maintien de l'unité du pays dans les mois à venir apparaît presque comme une gageure. Près de deux mois après la mort de Mouammar Kadhafi, les nouvelles autorités redoutent de voir les affrontements du 10 novembre entre deux milices rivales près de Tripoli se multiplier et défigurer le visage de la nouvelle Libye. Plusieurs combattants anti-Kadhafi de la ville portuaire de Zaouiah et un groupe tribal contrôlant un secteur à Iamaïa, entre Zaouiah et Tripoli, s'étaient alors affrontés trois jours durant sur une portion d'autoroute de la capitale libyenne. Plusieurs dizaines de personnes avaient trouvé la mort. Face au risque d'un nouveau cycle de violences, les hauts responsables du Conseil national de transition (CNT) s'étaient réunis en urgence et avaient exhorté à la retenue. Depuis, le calme est peu à peu revenu, à l'exception de quelques heurts au niveau local. Le nouveau Premier ministre, Abdel Rahim Al Kib, s'est engagé à désarmer les milices et à former une nouvelle armée nationale. «C'est un véritable défi», a estimé Mahmoud Djibril, Premier ministre de l'insurrection pendant la guerre, dans une interview accordée le mois dernier. «Ces armes dans les rues, ces gens armés présents partout, il y a un vide politique qui peut être comblé par toute organisation ayant des armes en sa possession». Tensions sous-jacentes A Tripoli comme à Benghazi (est), berceau de l'insurrection anti-Kadhafi, le calme qui prévaut dans les rues a de quoi surprendre. Certains observateurs étrangers vont même jusqu'à comparer la Libye à la Belgique, qui vient tout juste de sortir de la plus longue crise politique de son histoire après 18 mois de divisions entre Flamands et francophones. Des diplomates mettent cependant en garde contre le risque d'un scénario à l'irakienne ou à la somalienne, laissant le champ libre à une insurrection violente d'Al Qaïda. Les huit mois de guerre entre les rebelles et les combattants pro-Kadhafi ont en effet accéléré la prolifération d'armes lourdes et légères dans le pays. La semaine dernière, des correspondants de Reuters ont décompté pas moins de 38 chars, des dizaines d'obus, de lance-roquettes et de munitions à Misrata, à l'est de Tripoli. «Certains groupes pensent que le fait d'avoir été les premiers à se soulever contre Kadhafi leur donne des privilèges», déclare Mahmoud Chammam, porte-parole des combattants du CNT lors des affrontements du 10 novembre. «Les autres sont nerveux parce que soit ils ont mis du temps à rejoindre la révolution, soit ils ont fourni des troupes à Kadhafi. C'est un problème qui prend de plus en plus d'ampleur». Les divisions au sein de l'opposition au régime de Kadhafi ne datent pas d'hier. Au plus fort de la guerre en juillet, l'assassinat du général Abdel Fattah Younès, tué dans des circonstances obscures, avait mis au jour les tensions internes au sein de la rébellion et suscité l'inquiétude de l'Occident sur la viabilité de la coalition d'opposition. Depuis la chute de Tripoli le 23 août, les divisions se sont amplifiées et une lutte d'influence oppose désormais des barons régionaux à des milices. Ultimatum Le Premier ministre, qui n'est pas encore en mesure de reprendre le contrôle des rues de la capitale, a jusqu'à présent résisté aux appels des habitants de poser un ultimatum aux milices en les exhortant à quitter Tripoli d'ici mardi prochain. Le conseil municipal a d'ores et déjà menacé de bloquer la circulation dans la ville le 20 décembre si les miliciens issus d'autres villes du pays étaient toujours présents. «Ce ne sont plus des révolutionnaires, ce sont des gangs», a lancé la semaine dernière Abderraouf Ibn Souleiman, un habitant de Tripoli, résumant le sentiment de nombreux Libyens. Le Premier ministre «va devoir entendre des millions de factions différentes qui vont toutes lui dire qu'elles veulent une part du gâteau. Derrière ces factions se tiennent des milices», explique George Joffe, spécialiste de l'Afrique du Nord à l'Université de Cambridge. A Tripoli, où vivent plus d'un quart des six millions de Libyens, la confrontation entre les milices de Zentane et les forces d'Abdoul Hakim Belhadj fait rage. «Ils nous ont volé la libération de la Libye», déplore Abdoullah Naker, un commandant de Zentane. «Où était Belhadj quand nous étions en train de nous battre dans le froid ?». Loin de ses guerres de territoire et des luttes d'influence, de nombreux Libyens savourent tout simplement la fin du régime de Kadhafi. «Nous sommes en sécurité. Je sors avec de l'argent sur moi sans inquiétude», indique Siraj Al Misouri, 26 ans, à Tripoli. «Nous sommes patients, nous faisons confiance au CNT.»