Le phénomène recrudescent des sit-in, apparu subitement et curieusement après le 14 janvier, est devenu monnaie courante dans notre vécu quotidien à tel point que l'on commence à s'y habituer. De la même manière qu'on s'est habitué aux réactions des uns et des autres qui n'ont pas changé d'un iota. Dans le discours officiel, l'accent est mis sur les dangers des sit-in qui menacent l'intérêt du pays et ne sont pas propices à la relance économique. Les radicaux de gauche, tout en reconnaissant ces dangers, déclarent soutenir toute forme de sit-in le considérant comme étant un moyen légitime de militantisme pour l'emploi et la dignité et un outil efficace contre les tentations de retour en arrière et les manœuvres anti-révolutionnaires. Certains syndicalistes mettent en garde contre l'usage de la force publique. Cette mise en garde est gratuite car, jusque-là, les autorités privilégient les négociations et les solutions conciliantes. La situation est demeurée ainsi inchangée d'un côté comme de l'autre et les dangers appréhendés ont commencé à se manifester, notamment à partir de la décision de Yazaki, fort heureusement annulée à la dernière minute grâce à l'intervention du Chef du gouvernement en personne. Continuer à la gérer de la façon actuelle en se limitant à des discours et à des promesses ne fera pas changer grand-chose à l'existant qui présente un obstacle au retour à la normale et à la réalisation des projets escomptés en termes d'emplois et de développement régional et qui, pire encore, fait encourir d'énormes pertes à l'économie nationale. Que fait le gouvernement pour y faire face ? Hormis les déclarations et les discours, le gouvernement, qui doit avant tout s'attaquer au fléau (des sit-in) et apporter des réponses, semble adopter une politique attentiste à part l'appel à une trêve de 6 mois lancé par le président de la République. Aucune position officielle ni proposition sérieuse n'ont été affichées à ce jour, alors que la plupart des citoyens s'attendaient à des actions palpables de la part du nouveau gouvernement. Ces actions doivent autant, que possible s'écarter de toute solution musclée qui, outre le fait qu'elle a démontré ses limites pour ce genre de situation, ne fera que l'empirer et plonger le pays dans davantage de violence et de chaos. Elles doivent être menées de concert avec toutes les parties prenantes parmi les composantes de la société civile, les milieux politiques, les organisations syndicales et les associations des droits de l'homme pour aboutir à un large consensus. Certains avancent l'idée d'un contrat social qui implique un engagement moral, mais ne garantit pas l'application. En effet, si pour les uns la loi est faite pour être violée, pour beaucoup d'autres, une convention morale est faite pour ne pas être respectée à l'instar du document Ben Achour signé par 11 partis politiques. En revanche , l'élaboration d'un texte réglementaire présentant tous les attributs et toutes les caractéristiques d'une loi parlementaire pourra être concluante pour atteindre le but recherché, à savoir mettre un terme aux sit-in, aux grèves sauvages et aux look-out anarchiques sans toutefois tourner le dos aux attentes des sans-emplois et des couches vulnérables, ni léser les travailleurs et remettre en cause les droits acquis, ni revenir sur des questions de principe en rapport avec les objectifs de la révolution. Les contours de la réglementation à concevoir L'application de la réglementation en vigueur réprimant les entraves à la liberté de travail (articles 136 et 137 du code pénal) et interdisant les grèves sauvages et les look-out (article 388 du code du travail) n'est pas en phase avec la nouvelle donne politique. Elle est parcellaire, unilatérale et basée sur la sanction pénale. Son application suggérée par certains ne fera qu'embraser la situation d'autant plus que le Tunisien n'est plus disposé à se plier à la force publique qui l'empêche de faire entendre sa voix. De ce fait, au lieu de maintenir ces textes de loi axés sur l'interdiction et la répression et s'en tenir au statu quo préoccupant, vaut mieux procéder à sa refonte dans le sens qui garantit le droit au sit-in et préserve l'intérêt collectif. La démarche est absolument nécessaire pour traiter la situation de manière civilisationnelle et respectueuse des droits du citoyen. Elle est nécessaire parce qu'on ne peut pas dans le domaine des libertés et des droits de l'Homme s'appuyer sur des textes répressifs qui remontent à l'ère dictatoriale. Elle est fortement recommandée car la tendance doit être de légaliser les sit-in pour protéger la société et non d'interdire les manifestations pour attiser les tensions. La nouvelle réglementation aura l'avantage de définir clairement dans quels cas, sous quelle forme et de quelle manière un sit-in pourra être organisé. Le sit-in ne doit pas paralyser les activités économiques et sociales, empêcher l'exercice des activités courantes, mettre en péril des vies humaines ou donner lieu à des actes de violence. Il fera l'objet d'une déclaration préalable pour qu'il soit loisible à l'autorité compétente de prendre les précautions et les mesures adéquates à l'effet de parer à tout débordement et empêcher l'infiltration des intrus. Sur les lieux, les forces de l'ordre auront à assurer une présence purement préventive. Leur intervention, le cas échéant, se fera selon des règles et des procédures spécifiques sous le contrôle de l'autorité judiciaire. Une fois élaborée, il n'y aura pas trop de peine à appliquer cette nouvelle réglementation qui sera le fruit d'un large consensus entre les protagonistes sur la scène sociale et politique. Ces derniers, à moins qu'ils aient des intentions cachées, ne peuvent pas refuser de prendre part à la concertation au nom de l'opposition, ni cautionner les atteintes à la sécurité publique et le boycott de l'économie au nom de la démocratie, ni s'opposer à la protection de l'intérêt collectif au nom des droits de l'Homme.