Par Ahmed NEMLAGHI - Le sit-in comme moyen de revendication sociale est devenu de plus en plus fréquent depuis ceux de la Kasbah à l'aube de la Révolution. Ces pratiques datent de l'ère coloniale, et étaient mêmes d'usage courant chez les étudiants zeïtouniens qui y recouraient notamment pour faire la grève de la faim. L'iîtissam des femmes au sein de la mosquée Ezzeïtouna est resté célèbre dans l'histoire des grévistes de l'époque. En fait, le sit-in qui est une sorte de grève sur le tas, était plus fréquent chez les étudiants zeitouniens, car les ouvriers ne pouvaient occuper les entreprises qui étaient protégées, à l'époque par la police coloniale. Sur le plan juridique, la grève en général n'était pas reconnue en tant que droit social. A plus forte raison pour l'occupation des lieux par les grévistes ou les manifestants. Pour incriminer les grévistes, on invoquait souvent, l'entrave à la bonne marche du travail Sous l'ancien régime, que ce soit sous Bourguiba ou Ben Ali, la grève était reconnue et réglementée par la loi et les conventions collectives. Aucune allusion n'est faite dans le code du travail, au sit-in et de toutes les façons la grève avec occupation des lieux est interdite. La grève est une forme légitime pour faire passer des revendications sociales, mais elle est réglementée, suivant une procédure expressément précisée par la loi. Avec la Révolution, une nouvelle forme de revendication sociale et politique est née : le sit-in. Mais elle commence à prendre une tournure néfaste, aussi bien pour la sécurité que pour la stabilité économique et sociale du pays. Le nouveau Président de la République a exhorté les manifestants à cesser d'occuper les routes et d'entraver la bonne marche du travail en s'exclamant lors de son discours d'investiture à la constituante : « Lâchez les routes et laissez les gens se rendre à leurs lieux de travail » et en demandant d'observer une trêve de six mois afin que les choses rentrent dans l'ordre et que la machine puisse se remettre en marche. Certes la recommandation du Président est à bon escient. Mais il ne faut pas exploiter cet élément pour que la pratique de la grève sous toutes ses formes soit considérée,désormais, comme un délit et qu'elle soit sujette à des extrapolations diverses selon les aspirations et les couleurs politiques de chacun. La grève est un droit qui doit être réglementé en faveur des intérêts des partenaires sociaux, entre lesquels une concertation continue ne peut être que fructueuse. Ce qu'il ne faut surtout pas faire c'est de prendre à partie l'un des partenaires sociaux. On ne peut parler d'intérêt social sans le concours de tous ces partenaires. Un comité d'avocats, menace de traduire certains sit-inners en justice, pour nuisance à l'intérêt de l'Etat. Voilà que le sit-in, nouvelle forme de grève est déjà dans le collimateur, comme l'a été, pendant longtemps son aïeule, durant les ères de dictature. Il faut justement faire la part des choses, surtout de la part de juristes qui savent pertinemment que la grève est un droit légitime. Qu'entend-on en effet par nuisance à l'intérêt de l'Etat ? Tous les sit-in, notamment ceux qui se pratiquent dans la sérénité, sans casse ni heurts, pour des revendications légitimes, ne peuvent nuire à l'intérêt de l'Etat. D'autant plus que désormais, l'intérêt de l'Etat, fait partie intégrante de celui du peuple. Le chef de file, Me Hassana a déposé déjà deux plaintes dont l'une est dirigée contre les chauffeurs de Bus de la compagnie Transtu qui ont paralysé le TGM, et l'autre à l'encontre de ceux qui ont bloqué le passage à la frontière de Ras Jdir. A notre sens, il fallait d'abord étudier les causes profondes qui ont incité les sit-inners à mener ces actions, et pour quelles revendications. En tout état de cause, le sit-in doit être classé parmi les formes de grève qui doivent être réglementées par la loi. Etudier les causes profondes afin d'essayer d'y remédier, importe plus que de chercher à incriminer ceux qui essayent de préserver leurs intérêts et leur droits légitimes. A l'ère de la transition démocratique, il faut essayer de comprendre la réaction de ceux qui ont été victimes pendant plus d'un demi siècle du joug de la dictature et de l'oppression, et éviter de les incriminer au nom de l'intérêt de l'Etat.