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La centrale syndicale à l'épreuve de la restructuration Entretien avec : M. Mohamed Trabelsi, haut conseiller de l'OIT et ancien secrétaire général adjoint de l'Ugtt
L'Union générale tunisienne du travail (Ugtt) vient d'élire son nouveau bureau au terme des travaux du 22e congrès, tenu récemment à Tabarka. Lequel congrès, qualifié d'exceptionnel et d'historique, a inauguré une nouvelle étape cruciale dans l'histoire de la centrale syndicale. C'est un nouveau départ sur la voie du militantisme, de la négociation et de la résolution des différents dossiers, jusqu'à présent en suspens, dont le chômage, le pouvoir d'achat et le droit au travail. Autant de défis auxquels M. Houcine Abbassi, fraîchement élu à la tête de l'organisation ouvrière, ainsi que son équipe devraient faire face. C'est d'ailleurs ce que commande le nouveau contexte socioéconomique, caractérisé surtout par une pluralité politico-syndicale à laquelle l'Ugtt n'était pas habituée. D'où la nécessité de mettre la question de la restructuration sur le tapis, comme une de ses priorités les plus pressantes. Condition sine qua non pour savoir garder sa place sur la scène nationale, mais aussi pour redorer son blason. Sur cette nouvelle configuration, voulue par les réformes structurelles et juridiques qu'impose aujourd'hui la transition démocratique dans le pays, M. Mohamed Trabelsi, haut conseiller auprès de l'Organisation internationale de travail (OIT), ancien secrétaire général adjoint au sein du bureau exécutif de l'Ugtt (1988-2008), est porteur d'un projet réformateur, et ce, depuis les années 90. Rencontré à l'occasion du congrès de l'Ugtt, il nous parle du parcours de l'Union, de ses années d'ombre et de lumière, tout en évoquant, au passage, le grand chantier de sa restructuration pour repartir de plus belle. «L'on ne doit pas oublier, fait-il remarquer pour commencer, que nous vivons encore dans une étape révolutionnaire. Et c'est tout à fait naturel dans tous les pays qui ont vécu des secousses sociales et des crises politiques et économiques telles que celles qu'a connues la Tunisie, de passer par une phase transitoire pour que les choses se décantent». Car tout changement démocratique naissant sur les ruines du despotisme et du totalitarisme suppose forcément, explique-t-il, du temps pour que chacun occupe la place qui lui revient. De même pour l'Ugtt, elle devrait se repositionner dans un nouveau contexte pluriel afin de reconquérir légitimité et confiance. « A mon avis, l'Ugtt se confine dans son passé. Elle n'est pas encore sortie de l'ornière». A preuve, ajoute-t-il, son 22e congrès s'est déroulé de la même façon que les précédents, se résumant essentiellement en une ruée pour former des coalitions en vue d'une nouvelle direction. Un nouveau bureau exécutif composé de 13 membres, autrement dit. «Toutefois, ces coalitions — pour celui qui connaît bien l'Ugtt et le rapport de forces qui y existe — ont fini par s'effriter. A chaque fois, on a été surpris par l'émergence de plusieurs listes en lice présentées sans aucun programme électoral ni projet préétabli... Comme auparavant, le congrès s'est ainsi limité à une ou des listes surréalistes, sans fondement logique. Ce avec quoi l'on doit rompre dans cette nouvelle étape, car un tel syndicat doit avoir des idées et des objectifs qui seront, ultérieurement, traduits dans les faits, à travers des stratégies et des plans périodiques». Aujourd'hui, à l'ère de la démocratie, du pluralisme et du droit à la différence, il n'est plus permis de s'adonner à ces pratiques qui sont loin de toute transparence et de toute loyauté. Autrefois, c'étaient les leaders charismatiques tels que Farhat Hached, Ahmed Tlili et Habib Achour qui s'identifiaient, eux-mêmes, à des programmes et des visions. Désormais, en l'absence de ces figures-symboles du militantisme syndical, il est intéressant pour les candidats d'avoir des projets pour lesquels on doit voter et sur la base desquels on doit élaborer ses jugements. Le mode de scrutin par listes, dont on ne sait rien des programmes d'avenir des candidats, n'est pas favorable de ce point de vue. Cet amalgame est dû, selon lui, à la nature de l'actuelle structuration de l'Ugtt, dont le premier noyau remonte aux années 60, où le nombre des adhérents avoisinait les 70 mille. De nos jours, cette structuration n'arrive pas à s'adapter à la grande mue que connaît la centrale syndicale. « Alors que nous avons appelé, depuis les années 90, à repenser la situation en présentant, à l'époque, un nouveau projet réformateur susceptible de rectifier le tir et de mener l'Ugtt à bon port». Mais en vain, tout a été voué à l'échec, et ce, pour des considérations subjectives. «Moi-même, j'étais soucieux d'opérer certains changements qui allaient avec la nature de l'étape, car l'ancienne structure dont a disposé l'Ugtt jusqu'à la fin des années 80 n'est plus en mesure de répondre à tous les besoins et de gagner les nouveaux enjeux». C'est que, enchaîne-t-il, le centralisme abusif au niveau du pouvoir et des décisions demeure sans intérêt ni efficacité. Il relève de cette concentration incontrôlable qui a généré ce nombre record de candidats au bureau de l'Union. Cependant, «si l'Ugtt arrive à décentraliser le pouvoir et à le diluer au niveau de toutes ses bases et ses structures sectorielles et régionales, dans une nouvelle approche relationnelle avec l'Etat et les partenaires sociaux, elle pourra certainement retrouver son rôle d'antan des années de sa création, en 1946. Voire avant, à l'ère de Mohamed Ali Hammi, quand elle jouait un rôle de premier plan lors des différentes mutations socioéconomiques que traversait le pay». Pour y parvenir, tout en gardant sa place d'hier, a-t-il ajouté, l'Union doit aujourd'hui s'autocritiquer pour remettre les pendules à l'heure. Cela veut dire qu'elle doit également procéder à des réformes structurelles et juridiques : en l'occurrence, ladite restructuration et une nouvelle loi de base. Et, partant, l'inauguration d'une nouvelle relation avec l'Etat, les partis politiques et la société tout entière. De ce fait, poursuit M. Trabelsi, si ce 22e congrès donne lieu à un autre congrès extraordinaire ou à un conseil national, permettant à la nouvelle direction, représentée en la personne de M. Houcine Abbassi, d'adopter un projet de réformes dans un délai d'une année au plus tard, l'on pourra dire que l'Ugtt aura redoré son blason et reconquis sa légitimité dans ce nouveau contexte de pluralité politico-syndicale. «Il est vrai que le principe de l'alternance a été consacré, au niveau central, depuis le congrès de Djerba et lors de celui de Monastir, mais cela n'a pas été respecté et généralisé au niveau des unités locales et régionales, des syndicats de base et des autres fédérations». Ce qui a créé une certaine anomalie, à ses dires. L'alternance doit être comprise dans une logique de continuité, de telle sorte que le tiers ou la moitié du bureau exécutif soit renouvelé pour transmettre le flambeau aux autres générations syndicalistes. Afin que les jeunes et les femmes puissent tirer profit de ces expériences acquises. Aujourd'hui, la direction de l'Ugtt récemment élue est appelée à se faire une place importante sur la scène. « Elle devrait engager un dialogue social avec tous ses partenaires, tout en faisant preuve d'autonomie et d'indépendance, sans pour autant s'impliquer dans des conflits partisans. Or la participation à la chose politique ne s'oppose nullement à l'activité syndicale ». Pour ce faire, la nouvelle restructuration demeure plus qu'impérative. La présence de la femme n'est pas aussi de moindre importance. Il n'est plus question de suivre les sentiers battus, dans un nouveau vécu différent de celui des années passées. Un vécu social où la femme est devenue un acteur principal dans l'œuvre du développement intégral. «D'où la nécessité de son intégration dans la vie syndicale. En 1952, Farhat Hached avait pris l'initiative de faire participer Cherifa El Messaâdi au bureau de l'Ugtt, alors que le nombre des adhérents ne dépassait pas, à l'époque, les doigts de la main ». « L'Ugtt semble être tiraillée entre deux tendances, l'une conservatrice, l'autre progressiste. Cela est encore évident à travers une seule personne qui agit parfois avec un double profil. Prenons l'exemple du syndicat de l'enseignement de base et la fédération de la Poste, la différence au niveau de l'appellation n'est pas justifiée. Et l'on se pose la question ici sur les critères de choix et les paramètres adoptés pour appeler l'un syndicat, l'autre fédération». Cette confusion au niveau des structures et répartitions sectorielles s'explique par le fait de conserver un héritage du pouvoir ancien, sans vouloir le changer. « Et c'est là, à vrai dire, le côté conservateur qui persiste au sein de l'Union, laquelle doit, aujourd'hui, s'en débarrasser au profit d'un pouvoir alterné, garant d'une large ouverture sur les adhérents de base, tous secteurs et régions confondus ». « Maintenant que les syndicalistes sont de plus en plus sensibles à l'idée de repenser la restructuration comme étant un nouveau départ dans l'histoire de l'Ugtt, l'autonomie de gestion, la décentralisation du pouvoir, la participation des jeunes, la réorganisation des secteurs dans des nouveaux syndicats et fédérations, constituent autant de questions qui pourraient faire débat »... L'Ugtt n'avait pas, par le passé, un rôle syndical au sens propre du terme. Elle faisait, plutôt, office de front politico-syndicalo-social, à même de s'immiscer dans toutes les affaires. A l'heure de la pluralité syndicale, l'attribution d'une nouvelle identité propre s'avère beaucoup plus utile pour sauvegarder les repères et déterminer les choix des adhérents. « Les temps ont bien changé. Et, par conséquent, l'Ugtt doit retourner à la source pour jouer son rôle historique purement syndical, tout en restant vigilante à l'égard de la politique nationale», conclu-t-il. Donc, une nouvelle page devrait être tournée.