Depuis le 14 janvier, le mythe de l'amitié franco-tunisienne n'a plus de quoi se nourrir. La classe politique française qui dit ne rien avoir vu venir de ce qui allait arriver en Tunisie est la même qui sort l'argument du «je ne savais pas» quant à ce qui s'y passait en matière de droits de l'Homme pendant les 23 ans de Ben Ali. C'est en fait l'amitié d'une classe politique à une autre — pour le maintien d'intérêts communs — et non d'un peuple à un autre. Les derniers jours de règne de ZABA ont été marqués par la révélation de quelques exemples, en l'occurrence Michelle Alliot-Marie et Aziz Ben Miled. Derrière cette enquête, le journal en ligne français Mediapart, dont deux journalistes, Lénaïg Bredoux et Mathieu Magnaudeix, viennent de sortir un ouvrage sur les réseaux franco-tunisiens sous Ben Ali. Venus présenter leur livre —auquel ils ont donné le nom Tunis connection— samedi dernier à la librairie El Moez, les deux enquêteurs ont répondu aux questions d'une audience en quête de vérité. C'est justement la raison derrière le lancement de cette enquête. «Les gens étaient demandeurs, ils avaient envie de comprendre», commencent-ils par déclarer. Et puis, les témoins, surtout tunisiens, pouvaient enfin parler. Plus d'une centaine de personnes, des deux côtés de la Méditerranée, ont été interviewées, dans le but d'expliquer «comment jusqu'à la fin, et au plus haut sommet de l'Etat, la France a affiché son plus total soutien à Ben Ali et à son clan... Quant aux médias et aux intellectuels, jusqu'au monde de la culture, ils sont nombreux ceux qui se sont fait les apôtres du régime Ben Ali. Il faut dire que certains hôtels de luxe de Tunis sont particulièrement accueillants...». Il s'agit donc d'intérêts économiques —«des entreprises françaises ont accepté de passer par un membre du clan pour investir en Tunisie, ce qui n'est pas le cas d'autres pays», raconte Lénaïg Bredoux lors de la rencontre—, mais également d'un autre mythe, celui du rempart contre l'islamisme, qui auraient donné tant de crédit à notre ancien président. Durant 23 ans, beaucoup de tort, beaucoup de silence et de complaisance. De quoi ne pas s'étonner que Tunis connection commence par un chapitre «Mea-culpa». Suivront d'autres comme «Des soutiens politiques tous azimuts», «Quand Ben Ali régale» et enfin « France-Tunisie : quels nouveaux réseaux?». L'amitié continuerait donc et prendrait une autre forme? Pour les besoins de ce livre, Lénaïg Bredoux et Mathieu Magnaudeix ont usé de leur savoir-faire en journalisme d'investigation. D'où une question qu'on leur a posé sur la situation de ce genre journalistique en Tunisie. A cela, Mathieu dit être inquiet, mais à la fois optimiste «parce qu'il y a de petites graines qui apparaissent». Il est inquiet «parce que ça n'a pas encore réellement démarré alors que les sujets ne manquent pas et qu'il est urgent de voir du journalisme d'investigation en Tunisie». « Ce n'est pas une question de capacité, mais plutôt de formation et d'habitude», affirme-t-il. Et d'ajouter : «Quand on ouvre le journal, on est glacé par le contenu». Ceci est aussi dû, selon lui, à une sorte de lassitude et de fatigue intellectuelle en Tunisie. Disons que, peut-être, la liberté d'expression n'est pas encore allée aussi loin, et qu'elle devrait!