Par Mustapha BAAZAOUI Grèves, manifestations, sit-in, barricades et enfin menace d'insurrection et rébellion de régions entières. Grosso modo c'est le paysage post-révolutionnaire qui marque notre pays depuis un certain temps. L'explosion de la grogne et le mécontentement social étaient l'expression des inégalités, de la pauvreté et de l'injustice qui sévissaient durant l'ancien régime et sont des requêtes naturelles pour redresser la barre sociale et améliorer les conditions de vie du peuple après l'exploit historique du 14 janvier. Mais tout a basculé après le 23 octobre, surtout dès la formation du premier gouvernement. Ces protestations deviennent manifestement manipulées, orientées principalement pour mettre à genoux cette nouvelle formation politique. Le comble c'est que ces «lettres» soient publiquement adoptées et entérinées par des responsables politiques et surtout syndicaux, eux qui connaissent mieux que quiconque la physionomie du pays et maîtrisent, a priori, parfaitement le mécanisme de l'action syndicale qui ne recourt jamais à la logique du «quitte ou double» (le cas de A.Hajji à Redayef). Alors de quoi s'agit-il au juste? Nous sommes à moins d'un mois de l'allocution du nouveau chef du gouvernement et voilà que le pays semble sombrer dans le grabuge et le chaos. Toutes les régions, toutes les manifestations réclament droit, et maintenant. Les incendies se multiplient à un rythme alarmant et la boule de neige grossit sans que personne ne tire la sonnette d'alarme. Les exclus du pouvoir, anciens et prétendants, semblent se réjouir de cette situation et se frottent les mains dans l'attente de je ne sais quoi ? Le nombre de chômeurs a presque doublé durant 2011 non pas par des nouveaux venus sur le marché de l'emploi mais par des travailleurs forcés de chômer. Des sociétés nationales brûlées, du matériel et des équipements d'exploitation carbonisés, et la dernière dans les annales, grève dans une usine de confection pour réclamer le droit de fumer ! Sur ce, l'activité économique risque de perdre la synchronique de ses agrégats (timing entre production, distribution et commercialisation). Les marchés risquent de se disloquer par la dichotomie entre l'offre et la demande, ce qui affectera directement les prix et les quantités et se traduira automatiquement par l'inflation et la pénurie. Heureusement, la situation n'est pas encore dramatique, mais continuer sur ce rythme conduit à la déconnexion des secteurs et la perte de vitesse des mécanismes économiques. Il ne faut pas chercher ailleurs les raisons de la hausse des prix, du manque et parfois de l'absence totale de certains produits de base et de première nécessité, et la folle envolée des prix. Apparemment, personne ne s'intéresse aux vraies raisons de ce tableau social surréaliste et sinistré. Comme si, nous Tunisiens, venons juste de débarquer dans notre pays et n'avons pas la moindre idée sur le vécu des 20 dernières années ! Au lieu de voir la lune, on regarde le doigt quand celui-ci montre la lune. Il faut garder la mémoire en tête et ne jamais oublier les vrais responsables de cette ruine. Qui est le responsable de la pauvreté, de la détérioration des services publics, de l'absence d'infrastructures, de la désertification industrielle de l'intérieur du pays ? Qui est le vrai responsable du déséquilibre régional, du chômage, du pillage des richesses du pays, de la dégradation de la qualité de l'enseignement, des marchés parallèles, des mafias de la contrebande ? Qui est le responsable de tout ce gâchis? Malheureusement, la réponse à toutes ces questions est indispensable pour revenir sur terre et garder la tête froide pour bien réfléchir, et on ne peut pas mettre tout sur le dos du déchu et sa famille. Il ne faut pas trahir cette révolution Il ya là une obligatoire «confession» sociale à faire pour avouer que nous sommes tous responsables de cette situation. Par notre complicité, notre cupidité, par notre arrivisme et notre cécité. Comme si ces manifestations et cette grogne sont un trompe-l'œil sur notre profonde réalité et un aveu solennel du refus de notre culpabilité pour la mettre sur le dos des nouveaux venus. Comme si nous refusons le changement de notre société et donnons un signe fort du rejet de la greffe des réformes pour la liberté et la dignité. Comment alors expliquer la destruction de nos institutions et le départ en fumée de nos richesses ? Comment expliquer notre insertion dans la vague du désordre alors qu'on parle de révolution et projet de reconstruction? Comment accepter l'injustice durant une vie entière et rejeter une volonté de changement sur une année? Comment s'opposer au retournement d'une situation en notre faveur? Pourquoi renoncer au droit à la participation de construire notre pays? Comment un peuple révolté exprime subitement des revendications à la carte? Comment un peuple qui a enfanté des militants et des martyrs s'exclut et démissionne de ses obligations de reconstruction pour attendre que quelqu'un lui donne quelque chose ? Comment la logique revendicative devient une dynamique de vie ? Est-ce que nous sommes un peuple ou des mendiants tendant la main pour l'aumône et la charité ? Notre révolution était celle de la liberté et de la dignité et non pas la révolution des affamés ! Nous sommes des citoyens pauvres, riches ou de classe moyenne mais dignes et libres. Bouazizi ne s'est pas immolé parce qu'il mourait de faim, mais parce qu'on l'empêchait de gagner sa vie dignement. Parce qu'on le maltraitait et le méprisait et non parce qu'il manquait de pain. Les grabuges auxquels on assiste actuellement traduisent une volonté manifeste de déjouer les fondements et l'essence de notre révolution. Malheureusement, ce n'est ni innocent ni gratuit si plusieurs intervenants entrent en scène pour défigurer la marche du peuple vers la dignité et la liberté. Où est la Ligue des droits de l'Homme, où est l'Ordre des avocats ? Où est l'Association des magistrats, où est l'Ugtt, où est l'Utica, où sont les associations de la soi-disant société civile ? Comment dresser le bilan de l'action du gouvernement de la révolution après 20 jours d'existence ? Comment exiger des comptes d'une nouvelle formation au pouvoir au bout d'un mois ? Dans quelle faculté de Sciences politiques nos leaders ont fait leurs études pour souscrire et appuyer ces manœuvres? Pourquoi toutes les démocraties du monde font des élections tous les 4 ou 5 ans si ce n'est la période minimale nécessaire pour juger l'efficience de l'action politique ? Le Tunisien n'a jamais été mesquin à l'attente d'une faveur ou d'une dot d'un tuteur, même si c'est l'Etat lui-même. Le Tunisien a toujours été un laborieux et un débrouillard. Mais la culture mafieuse ben-alienne et RCDiste a complètement chambardé ses valeurs et son originalité et l'a initié à se mettre en file indienne «petit et abattu» pour des aides et des secours. La culture de l'assistance et de l'agenouillement n'a jamais été la nôtre, c'est un microbe attrapé de l'ancien régime et de ses vermines politiques. Il ne faut pas salir l'image de notre révolution. Il ne faut pas se laisser faire et traîner notre ego digne et libre dans la boue des revendications. Nous sommes peut-être pauvres, mais éduqués et civilisés. Nous avons hérité d'un Etat ayant perdu ses mécanismes à la faveur des caprices de la corruption, une économie en ruine et un déséquilibre régional aigu, mais c'est à nous, en fin de compte, qu'incombe la reconstruction. Le développement et la croissance, la création et le partage équitable de la richesse ne sont pas du ressort d'un gouvernement ou d'une classe politique, ce sont le fruit du travail et uniquement du travail. Jusqu'ici, nous n'avons rien à partager, parce qu'il n'y a rien à partager, au contraire tout est à refaire. Nous n'avons pas besoin d'une classe politique qui sait distribuer, mais celle qui trouve la manière pour créer la richesse et bien la répartir. Les dirigeants politiques ne sont pas des prophètes ou des magiciens, ils sont des gestionnaires aguerris et patriotiques. Si par chance notre gouvernement contient une mine de cette qualité, nous avons beaucoup à gagner. Si au contraire, il s'avère qu'ils sont loin de ce cran et incapables de relever les défis, on n'a qu'à recruter d'autres postulants qui donnent satisfaction lors des prochaines élections qui sont d'ailleurs pour demain. Il n'y a pas longtemps, le Brésil était le pays le plus endetté, actuellement c'est huitième économie du monde. L'exemple du Brésil n'est pas un cas modèle de l'histoire de la pensée économique, c'est une réalité d'actualité. La Turquie n'est pas le seul exemple contemporain en matière de décollage. De là, un appel à tous les Tunisiens à se comporter comme nous l'avons toujours fait, responsables et avertis, et surtout patients. Notre capacité n'est pas à prouver, nous avons projeté un régime politique des plus vicieux et despotes du monde. Nous n'avons besoin de personne pour nous montrer le chemin de la réussite, parce que nous le savons pertinemment. Nous n'avons qu'à reprendre notre cycle de vie avec beaucoup de volonté, de bravoure et surtout d'intelligence. Notre seul et unique capital est, et était, notre matière grise. En définitive, ces dérapages ne s'expliquent pas uniquement par la légitimité des revendications sociales ni par l'épuisement de la patience des gens, mais aussi et surtout par une farouche opposition politicienne contre ce gouvernement, par l'acharnement de certains médias contre les nouveaux dirigeants du pays, et surtout par le développement de la culture de la négativité du citoyen et de l'impuissance des nouveaux venus à bâtir «l'attache magique» avec leurs sujets. Il y a là une défaillance de communication inexplicable du gouvernement.