Je m'y suis préparée à ces élections depuis la semaine dernière. Nous avons appris que la prof d'éducation civique est chargée de l'organisation des élections du conseil du collège. Deux délégués par classe. J'ai cru en mes chances. Elle nous les a promis à la fin de l'heure et puis rien, trop de choses à faire, la démocratie à finir et les organisations de la société civile à introduire. Cela devait me permettre de préparer une vraie campagne. Hier, entre l'étude de texte, la physique et un exercice de math particulièrement rude, j'ai préparé une profession de foi électorale, pas de programme comme les grands, mais juste une promesse : si vous m'accordez vos voix, je serais votre voix auprès de l'administration. Je tape mon texte et je l'imprime. Au stress du départ matinal, j'en rajoute une couche. Je devais être en avance pour imprimer mes 32 exemplaires. Je redoutais un peu l'inflation des candidatures. J'en avais compté 11. Chedi le courageux, mais surtout Fatma l'éloquente étaient mes principaux concurrents. Mon truc à moi, c'est ma profession de foi. A la récréation, chaque élève de ma classe en avait reçu le sien, y compris mes redoutables adversaires. J'y tenais, car papa me dit toujours qu'adversaire ne veut pas dire ennemi et que la démocratie, c'est surtout le respect de la différence... et tous ces trucs que je commence à peine à comprendre. L'heure de vérité a sonné. En classe d'éducation civique, première deconvenue. Face au chahut électoral, Mme Zohra déclare d'un ton froidement agacé «Les élections c'est à la fin de l'heure.» Ça va être dur, comment vais-je m'occuper? Naoufel, candidat potentiel, perd patience. Il réduit sa gomme en petits projectiles lancés à la tête du petit groupe qui s'intéressait encore au cours. Je me perds à reproduire le dessin en 3D entamé en classe de technique. De temps à autre, je glissais un petit mot à un électeur peu convaincu de ma candidature. C'est la fin de l'heure, entre les dernières explications et les recommandations de la prochaine séance, Mme Zohra nous surprend par sa drôle de manière d'organiser les élections. «Allez. Deux candidats : une fille, un garçon pour chaque rangée pas un de plus. Fatma, tu es bien candidate?» «Oui madame.» Je lève le doigt, puis la main, je quitte mon pupitre et je m'avance vers l'estrade. Mme Zohra ne me voit toujours pas. Je m'énerve, mais je redoute sa réaction. Trop tard, la liste des candidats est close. 6 candidats presque désignés, je n'y suis pas, Chedi non plus, ni Naoufel d'ailleurs. J'ai senti la rage monter en moi. Je ne veux surtout pas voter pour Fatma, déjà chef de classe. Chargée du registre des absences, elle abuse parfois de son petit pouvoir. A l'école primaire, c'était pire, les chefs de classe avaient pour fonction de dénoncer les bavards, les rigoleurs et même les dormeurs. Mais pour qui voter ? Un bulletin blanc en signe de protestation ? Je n'ai pas le courage. Mme Zohra pouvait s'en rendre compte et me garder rancune. Je gratte le nom de Sonia : c'est une copine, mais elle est timide. On ramasse les demi-feuilles fraîchement arrachées aux cahiers. Déjà un bulletin blanc, quelqu'un de plus courageux que moi, mais Mme Zohra le déclare nul. Elle continue son décompte et puis s'arrêta tout net. «Qui a écrit ça ?» , sa main tremble légèrement. J'arrive à déchiffrer : Elections truquées. Waouh! Quel courage ! Dans le silence qui me parut long, j'essaye de ne pas montrer ma joie. Mme Zohra semble impatiente quand Chedi se déclare l'auteur de la protestation. «C'est moi madame. Nous avons été plusieurs à lever la main, vous avez choisi les candidats...», dit-il d'un ton calme et déterminé. «Il faut avoir l'esprit sportif, le résultat est là ... Fatma est votre déléguée de classe», répond-elle. Chedi ne dit rien, mais dépose ma profession de foi signée sur le bureau de la prof qui se contente d'un «Ah !» à peine audible. Ni la réaction de Mme Zohra ni mon 19,5/20 au dernier devoir surveillé n'ont apporté de réponse à ma question : pourquoi truquer les élections ? Meriem, 12 ans et quelques désillusions.