Objet de conflit perpétuel entre le ciel et la terre, homo sapiens — ce fils d'Adam berceau de toutes les contradictions — est social par essence. Aristote l'a dit. Les conférenciers animant la troisième séance du colloque international sur «L'universel et le particulier dans la pensée et la création», tenue, samedi dernier, dans le cadre des activités culturelles de la Foire internationale du livre, l'admettent in-extenso. Au fil d'un vécu, d'une histoire synonyme de vaste engloutissement des vies, entre bonté et atrocité a oscillé l'espèce humaine. C'est ce qu'observent ces professeurs émérites de philosophie, de littérature et d'histoire. Dans son intervention intitulée «La création au-delà de l'universel et du particulier», le Pr Mohamed Mahjoub s'est attardé sur la communication et l'échange comme garants uniques de l'enrichissement et du développement de la civilisation humaine. Il affirme, de là, que l'élévation de la création à un palier universel est, à l'évidence, tributaire d'un échange constructif entre les humains. Sachant que le dialogue implique un partage des nobles valeurs humaines, à savoir sociabilité, philanthropie, ouverture sur l'autre, toute somme, humanisme. De ce fait, le Pr Mahjoub reconnaît que la traduction est considérablement de la partie du moment qu'elle permet, d'une certaine manière, la connaissance de l'autre dans son acception globale. C'est-à-dire que le texte traduit permet de repérer certaines spécificités de l'autre pour se rendre compte du fossé civilisationnel qui sépare les individus, un Sudiste d'un Nordiste, ou encore un Américano-latin d'un Asiatique. La traduction comme la définit le conférencier est une consécration de l'ouverture et du dialogue quoique le texte traduit ne puisse, en aucun cas, mimer avec véracité le texte original. Si bien que le rapport intime établi entre l'auteur du texte et sa propre langue est inimitable. Cependant, dans tous les cas de figure, la traduction sérieuse et respectueuse des normes requises contribue à maintenir le pont entre les civilisations, aussi diverses et multiples soient-elles. En côtoyant l'autre à travers ses écrits, on se rend compte de sa différence. Cette même différence constitue en soi, une richesse dès lors que la compréhension de soi substitue la connaissance de soi. En d'autres termes, on apprend à se comprendre en connaîssant l'autre, notre semblable et notre miroir, sans s'imposer a priori des barrières. Aussi l'universel dans la création acquiert ses lettres de noblesse dès lors qu'il s'avère indéterminé. C'est pourquoi tout créateur se doit d'«expliquer plus pour comprendre mieux» si l'on reprend les termes du même professeur. Quête de la vérité Dans son intervention intitulée «La guerre des images entre la logique identitaire et l'universalité», le Pr Adel Khedher a abordé la question du conflit identitaire inhérent au rapport humain, du fait de la multitude des croyances et des civilisations. Dans ce sens, il avance que la logique identitaire véhicule souvent une image réductrice de l'autre. Ce qui génère, par conséquent, une distorsion des rapports et une méfiance accablant le dialogue et l'échange, ces corollaires incontestés de la pensée et de la création. Allant plus loin, le Pr Khedher a évoqué la complexité de la question religieuse, notant qu'au sein de la même religion l'on compte des hiatus entre signifiant et signifié. Autrement dit, entre le concept et l'image. Le conférencier a, ainsi, parlé de l'impossibilité de représenter par l'image un prophète dans la religion islamique. Car une représentation refoulante suscite un représentant refoulé pour abolir, de la sorte, toute sorte d'image spéculaire ou caricatorique. Comme l'affirme le Pr Khedher, la guerre des images n'est pas une guerre imaginaire, mais plutôt une guerre concrète qui oppose des symboles religieux. Aussi, tout homme libre et créatif se doit de transcender ces fléaux du bas monde pour mériter son genre humain en étant tolérant, communicatif et partisan d'une différence mine de richesse. Ne pas fermer les yeux, mais les ouvrir grand pour imaginer le cosmos. Remonter à l'âge primitif du monde pour s'apercevoir de son incapacité à saisir la vérité absolue. L'histoire du globe prouve que tout est vulnérable. L'espèce humaine est, à son tour, une parfaite illustration de cette invulnérabilité. Ainsi, a commencé le Pr Nancy Housten (universitaire canadienne) ses propos. Elle assure que chaque être humain normalement constitué doit être inscrit dans plusieurs consensus. Tout autant que se lier les uns aux autres est une nécessité pour un être penseur, néanmoins incapable de saisir toute la vérité. Synthèse de l'histoire : dans chaque partie du monde, les êtres humains se sont inventé des histoires pour les aider à survivre. C'est là la vraie force de l'homme, étant capable d'écrire et de pérenniser ses itinéraires et ses héroïsmes. La conférencière note, par le fait, que l'histoire et le propre des peuples sont saisissables par le biais du romanesque. «Les lignes de faille», si l'on reprend ses propres termes, seraient les mieux incarnées dans un roman du moment que l'on opte volontiers pour une identification au personnage fascinant par ses attraits, mais, refoulant par ses faiblesses. Lorsqu'un blanc s'identifie à un noir, un Russe à un Australien, un riche à un pauvre et vice-versa, c'est que les frontières que l'on se fait à un moment donné ne sont que mirage et ruine de l'âme, comme l'assure le Pr Housten. Cela prouve, à plus forte raison, que la fiction est universelle et source d'hypnose pour tous les hommes. La création est universelle et n'admet guère de limites géographiques. Et la poésie en dit plus. Telle est l'observation du poète égyptien Ahmed Chahaoui. Dans son intervention intitulée «L'abolition des limites entre le particulier et l'universel sur le plan poétique», il avance que le poète se doit avant tout de puiser dans son propre patrimoine pour nourrir sa muse et assurer à sa création l'intérêt et la curiosité de l'autre. Le conférencier souligne, aussi, que les unités de temps et de lieu caractérisent la création et identifient comme il se doit le poète, du fait que tout passe par la langue. Il ajoute dans le même contexte, que la poésie contemporaine saurait être universelle du moment qu'elle cesse d'être autoréférentielle en s'adressant à l'autre dans un langage souple, ouvert et explicite. Le poète est un vrai chantre de la vie. C'est pourquoi ses vers doivent chanter le Beau pour maîtriser la douleur du monde et affiner la conscience de l'homme par rapport à la noblesse de son genre. Ils auront ainsi de quoi être universels. De surcroît, le dialogue culturel est une condition sine qua none pour la cohabitation et la coexistence des humains. L'on entend par cela la nécessité d'une requalification de l'universalisme. L'aveu est formulé par Pr Fethi Triki dans son intervention intitulée «Diversité, interculturalité et universalité alternative». Il observe que la logique identitaire est, à bien des égards et jusqu'à présent, prisonnière du recroquevillement civilisationnel et du narcissisme de l'homme. Justifiant sa synthèse, il a évoqué l'aspect sanglant du parcours humain en allusion aux multiples génocides commis dans plusieurs régions de la planète. Peut-on parler d'universalité alors que le rapport humain sombre tragiquement dans la noirceur ? Ségrégation raciale, persécution, humiliation, rejet, sadisme, misanthropie sont les mots d'ordre d'une politique de guerre anéantissant diverses régions du monde. L'exemple des clandestins mal traités, de la récente découverte de bon nombre de femmes esclaves, sexuellement exploitées dans certains pays européens, ne font que susciter le pessimisme de l'intellectuel, étant le premier conscient de la nécessité du dialogue, de la tolérance, de l'amour de son semblable pour une interculturalité saine et sans troubles. Le monde est traversé par une crise de valeur à sa phase cruciale. Le rôle de l'intellectuel est de remettre les pendules à l'heure. Eveiller les consciences et rappeler à l'homme le propre de son genre. Telle est la mission. Il faut dire, au demeurant, que le contenu et la portée de ce colloque sont profondément salutaires. Et auraient été plus bénéfiques si le langage parlé avait été plus simple et accessible à un plus grand nombre, au regard d'une assistance constituée pour une grande partie d'élèves et d'étudiants.