C'est devant un public nombreux, chaleureux, qu'a eu lieu vendredi au Théâtre de la Ville de Tunis, la soirée inaugurale du centenaire de Ali Riahi. Un public de tous âges, qui plus est, prouve que quarante ans après sa disparition, «Moutrib Al Khadra» n'éveille pas que des nostalgies, mais marque, par-dela les générations, notre mémoire collective. L'intitulé de ce concert d'ouverture le soulignait fort bien du reste: «Nagham Edhdhekira», on ne pouvait mieux évoquer l'œuvre, la voix et le chant d'un artiste qui incarna, sans doute le mieux, la personnalité et le style de la chanson tunisienne. Un succès public indéniable. Rien à redire. Presque pas une place de libre aux «mezzanines», au balcon et au «poulailler». Et un auditoire inconditionnel qui reprenait mot à mot les chansons de Sidi Ali. Même celles «d'écoute rare», ce qui était plus que surprenant: émouvant! La chronique ancienne rapporte que les chansons de Ali Riahi étaient constamment reprises en chœur (par cœur) lors des galas des années 30-40 et 50. Cela ne s'est jamais démenti du vivant du chanteur. Il faut croire que la fusion se vérifie toujours, comme si ces chansons étaient nées «en partage», comme si, n'ayant pas existé, elles auraient, forcément, été inventées un jour ou l'autre. C'est, en tout cas, le sentiment que l'on avait vendredi, en regardant «réagir» la Bonbonnière. Salle et scène se confondaient, on eut dit inspirées par «une muse commune». Ali Riahi peut reposer tranquille : son legs est désigné à la postérité. Côté artistique, on ne peut dire que tout a été pour le mieux. Il s'agissait, bien sûr, d'un «concert-hommage», le propos critique doit passer en second. Saluons donc d'abord l'initiative elle-même. Le ministère de la Culture a bien fait les choses en engageant un orchestre composé d'excellents instrumentistes professionnels, en en confiant la direction au violoniste Mahmoud Lassoued (auteur de quelques fins arrangements) et en convoquant un aréopage de belles voix, dont nombre de jeunes pour insister sur «le lien des générations». Saluons aussi le choix des chansons. Ce n'était pas une tâche évidente, Riahi en a compté plus de deux centaines, presque d'égal niveau, le fait que la dizaine proposée vendredi ait pu traduire à peu près l'essentiel des compositions de Sidi Ali était à relever. C'est fait. Les «bémols» maintenant, désolés de contredire les nombreux enthousiastes, mais il y en a bien eu. On ne s'arrêtera pas aux détails de la présentation (qui fut presque absente), de la disposition scénique (plutôt sommaire) ou encore de la sono qui avantageait de face, mais gênait considérablement l'écoute sur les «pourtours» et sur les «flancs». Nos principaux reproches iront aux solistes chanteurs. La plupart nous ont semblé vouloir personnaliser leurs interprétations. Trop à notre goût. Ce qu'ils restituaient là, c'était «le nec plus ultra» d'un répertoire. Des œuvres, par principe, dotées d'une ligne mélodique complète, distinguées, en plus, par ce que le chant même de Ali Riahi y a ajouté. Par son «écriture propre», comme l'on dit. Ces mélodies sont consacrées et ces ajouts font partie d'un ensemble musical et vocal avéré. Et tout cela constitue l'esprit et l'âme des chansons de Ali Riahi. Si l'on en dévie, on trahit le tout. Ou alors si l'on veut y apporter sa touche propre, que cela soit d'abord bien pensé, bien préparé, que cela serve au moins à rendre ces chansons un zeste plus belles. Or, cela n'a pratiquement jamais été le cas. Bien au contraire on n'aura eu droit qu'à des improvisations hâtives, irréfléchies. On ne nommera personne, tous se reconnaîtront. Mais le plaisir, l'esprit et l'âme des chansons de Sidi Ali ont été très souvent gâchés lors de ce concert centenaire «Motreb Al Khadhra».