Par Nabil BEN AZOUZ Mesdames et Messieurs les élus du peuple, le constat amer que nous faisons de plus en plus ces derniers temps, c'est que vous êtes tous, et à de rares exceptions, tombés dans les travers de la petite politique politicienne et avez oublié ainsi l'essentiel. Certes, ces joutes politiques dont vous faites montre ces derniers temps sont imposées par les difficultés du moment, mais elles ne doivent guère vous submerger et vous faire oublier ce pour quoi vous êtes élus. Il est triste et désolant de constater à quel point l'enthousiasme créateur des premiers jours d'après le 14 janvier 2011 s'est tellement éteint. Rappelez-vous, le monde entier nous regardait, certains avec sympathie, d'autres avec curiosité et beaucoup avec inquiétude, et ils avaient raison. Rappelez-vous le frémissement mondial que notre révolution a causé. Même la Chine a tremblé. Rappelez-vous l'espoir que nous avons donné à tout le monde arabe, à l'Europe et même à l'Amérique où aux abords de l'antre du capitalisme sauvage, Wall Street, des citoyens nord-américains reprenaient, et en arabe s'il vous plaît, notre fameux mot d'ordre «Echaâb yourid isqaât ennidham». Pourquoi sommes-nous devenus aujourd'hui si insignifiants, presque oubliés du monde ? Rappelez-vous, certains nous ont même promis un plan Marshall, certes discutable, mais je ne sais pas si vous saisissez la portée historique de ce mot ? Est-ce tout simplement parce que vous vous êtes finalement repliés sur vous-mêmes. Que vous ne voyez plus que le bout de votre siège que vous avez peur de perdre. Qu'avons-nous à faire de la question de notre identité ? Vous aimez vous faire peur, et pourtant nous, on n'a aucun problème avec notre identité, millénaire. Qu'avons-nous à faire de polémiquer sur manifester ou ne pas manifester sur l'avenue Habib-Bourguiba ? La question ne devait même pas se poser puisque cette avenue est devenue notre symbole, notre «Avenue de la Révolution», un point c'est tout. Qu'avons-nous à faire de pleurer les larmes les plus chaudes de notre cœur en voyant les blessés de notre Révolution et les familles des martyrs souffrir pour leurs indiscutables et sacrés droits ? Ce sont les premiers qu'il fallait honorer. Mettre sur un piédestal et les tenir tous par la main de la solidarité. Un point, c'est tout. J'ai bien peur que tout ce que vous pensez faire pour eux actuellement ne soit trop peu et trop tard ! Et j'en passe de toutes les broutilles qui sont devenues notre lot quotidien, nous faisant ainsi oublier l'essentiel. Cette angoissante instabilité que notre peuple a le sentiment de vivre, n'aurait pas eu lieu d'être si dès le début vous aviez élevé le débat. Regardez-vous! Vous n'avez rien rédigé de la future Constitution. Immense devoir pour lequel vous avez été élus. Retrouvez votre grandeur des premiers jours. Ne pensez pas à ce que vous pouvez faire pour votre clan, votre parti et même votre patrie. Pensez surtout à ce que nous pouvons donner de mieux à l'humanité tout entière. Je vois des rictus. Mais la grandeur d'un peuple se mesure à ce degré de culot et de folie créatrice. Ne dit-on pas «qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit». Oui, mesdames et messieurs les constituants, vous êtes capables de donner au monde une «Déclaration des droits de la Révolution tunisienne». Cette déclaration doit être courte, simple et facilement compréhensible. Une fois écrite et pourquoi pas lue en première à Sidi Bouzid, elle sera ensuite solennellement adoptée et intégrée dans le préambule de notre future Constitution, et cela en présence de ceux qui comptent dans le monde qui, j'en suis sûr, ne voudrons pour rien au monde rater ce grand moment historique que nous aurons offert à l'Humanité tout entière. Les fondements de cette DDRT doivent être inspirés de ce pour quoi notre peuple a fait la révolution : Travail. Liberté. Dignité. Mesdames et Messieurs les constituants, demain, beaucoup d'entres vous publieront certainement leurs mémoires, et c'est souhaitable. Mais qu'allez-vous y écrire ? Qu'allez-vous dire à vos enfants et à vos petits-enfants, et surtout à l'Histoire qui vous jugera ? Que vous avez tout au plus écrits une simple et «locale» Constitution parlant de la nature du pouvoir, à savoir présidentiel ou parlementaire ! Que vous avez rédigé des articles divers et variés et souvent imbuvables sur l'administration, le temps des élections, les finances de l'Etat, la société, l'administration judiciaire et j'en passe ? Cela est certes nécessaire car «la première des vertus est le dévouement à la patrie». Mais que c'est petit ! Sortez-nous de ce cauchemar. Pensez à l'honneur, ne pensez pas à vos honneurs. John Fitzgerald Kennedy disait justement : «La différence entre l'homme politique et l'homme d'Etat est la suivante : le premier pense à la prochaine élection, le second à la prochaine génération». Mesdames et Messieurs les constituants, sacrifiez vos petites illusions pour l'intérêt suprême de notre idéal. Faites-nous rêver. Relevez la tête de notre peuple. Lancez les bases d'une Tunisie nouvelle, ce «grand-petit pays» qui est le nôtre. Souvent envié, toujours copié mais jamais égalé. On le fera avec ou sans vous, si bien sûr, vous vous montrez incapables de devancer les attentes de ce peuple. Pourtant, le propre de tout homme politique. Donnez-nous une DDRT. Mesdames et Messieurs les constituants, soyez à la hauteur de votre devoir historique. Agissez localement, mais pensez universellement.