Par Néjib OUERGHI L'état de la liberté de la presse a dominé le débat public au cours de la semaine qui vient de s'écouler. Au moins trois événements ont abordé cette question qui continue à diviser et qui reste d'actualité. En dépit de toutes les évolutions enregistrées en matière de consécration des libertés publiques, seize mois après la révolution du 14 janvier 2011, on est toujours dans l'expectative, le doute et l'inquiétude. Les journalistes, objet de vexation, d'intimidation et même d'agressions verbales et physiques dans l'exercice de leur métier, sont déboussolés. Procès intentés contre les médias, emprisonnement du directeur d'un quotidien, réticence dans l'activation des décrets 115 et 116 et, cerise sur le gâteau, une campagne en règle contre les médias publics appuyée par des appels, suspects, à leur privatisation. Dans ce climat délétère, la Journée mondiale de la liberté de la presse, qui devait marquer dans notre pays la parole libérée, a été plutôt une journée de questionnements et d'incertitudes. Ce sentiment d'inquiétude a été perceptible lors de la présentation, lundi, du rapport de l'Instance nationale pour la réforme de l'information et de la communication (Inric) qui a brossé un tableau peu rassurant sur l'état de la liberté d'expression et sur les obstacles qui se dressent toujours devant la consécration de ce principe fondamental. Un rapport qui montre l'ampleur de l'effort qui reste à accomplir pour renforcer les fondements d'une presse nationale professionnelle, libre et indépendante. Dans cette période cruciale de transition de notre pays vers la démocratie, la liberté d'expression sous-tend assurément toutes les autres libertés et «la liberté des médias n'a-t-elle pas le pouvoir de transformer les sociétés?». Accepter cette évidence revient à donner une réelle chance à des médias libres et pluralistes à consacrer la culture de la démocratie et à assumer pleinement leur mission d'approfondir le débat public sur toutes les questions d'intérêt. Le doute et l'appréhension ont été, également, dominants lors de la présentation, le 3 mai, du rapport annuel du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt). Atermoiement à mettre en œuvre les réformes nécessaires, multiplication des atteintes contre les journalistes et absence d'instances de régulation sont autant d'entraves qui persistent, rendant chaque jour caduque la parole libérée. Une parole de plus en plus menacée par la montée de l'extrémisme et l'intolérance et par une gestion quelque peu cacophonique de ce dossier. La polémique qui a trop duré sur le statut des médias publics qui, pour la première fois depuis l'indépendance du pays, ont choisi le camp du professionnalisme et de l'indépendance, renseigne fort sur les liaisons encore tendues entre les médias et le pouvoir. A défaut de les mettre à son service, ces médias sont mis à l'index. Le refus d'obtempérer a été perçu comme un défi et non une manifestation d'indépendance qui les anime dans le dessein de réussir leur mue d'une presse sous contrôle à une presse libre. Même si la vérité n'est pas toujours bonne à dire, il importe, dans cette phase d'apprentissage de la liberté que traversent nos médias, de donner un préjugé favorable à cette presse, non de la condamner d'avance et de chercher à la réduire au silence. «Le silence tue la démocratie, mais une presse libre prend la parole», ce slogan d'une grande signification lancée pour l'occasion par WAN-IFRA (Association mondiale des éditeurs de journaux), en dit long sur l'impérieuse nécessité de laisser la presse assumer son rôle et la mission qui lui est dévolue pour transformer la société en cette période de grands changements. Enfin, le 3 mai, le signal nous est venu de l'Unesco qui, en choisissant la Tunisie pour attribuer le prix mondial de la liberté de la presse Unesco/ Guillermo Cano au journaliste azerbaïdjanais Eynulla Fatullayev, nous montre que seule la voie de la liberté compte. Elle est la seule à même de permettre aux médias d'agir et d'offrir une vraie alternative. Ce rôle ne peut être rempli qu'en rendant effectives l'amélioration de la sécurité des journalistes, la dépénalisation de la diffamation, la mise en place de normes professionnelles et éthiques et en garantissant l'accès aux sources d'information. C'est, incontestablement, sur ce registre qu'il faut orienter le débat et l'action afin qu'une presse nationale libre et indépendante parvienne à gagner en crédibilité, en professionnalisme, en audience et en influence. C'est le pays qui en tirera profit, car les médias libres sont un des fondements essentiels de l'exercice de la liberté et de l'ancrage de la culture démocratique.