«Ce soir, au Théâtre municipal de Tunis, la contrebasse parlera pour moi. Je vais me taire pour l'écouter en train de traduire ma pensée en dialecte tunisien», explique Thierry Petit. Ce musicien peu ordinaire, s'est fait construire un instrument en fibre de carbone, afin de pouvoir l'amener là où on ne l'attend pas. Ensemble, ils ont vogué sur l'océan Atlantique, pédalé sur les routes de France, marché dans les montagnes du Népal et du Maroc. «J'ai même joué à 1.600 mètres d'altitude. C'était complètement délirant!», se rappelle-t-il. Un véritable troubadour qui suit les envies folles de sa «contrebasse voyageuse». «Un jour, elle m'a dit : “Il t'a fallu beaucoup de temps pour te décoincer, mon petit Thierry”, depuis je me sens libre», s'amuse à raconter le contrebassiste. Pour lui, il n'y a pas de limite entre les genres musicaux. La musique classique sert la World musique et vice versa. Thierry ne s'est jamais senti figé dans son strict smoking de musicien symphonique. Il l'ôte quand il a envie de sillonner le monde. Ce soir, sa contrebasse racontera des aventures communes. Elle expliquera aux enfants comment elle a pu libérer la pensée et les mains de ce musicien. Elle leur montrera comment sa caisse, sa manche et ses cordes fonctionnent et comment elle a pu se libérer de sa pesanteur et de son «excès» de poids pour aller à la rencontre du monde. Elle change d'apparence, à chaque voyage, reflétant , comme sur un miroir, les sensations que lui inspire le pays où elle se trouve. La «chargée» de missions La contrebasse voyageuse n'est pas arrivée en Tunisie, par hasard. Elle est là pour une mission bien particulière. Thierry Petit a quitté, cette fois, la fosse de l'Opéra national de Montpellier pour aller tanguer, au bord d'un voilier-studio, sur les mers méditerranéennes. Son objectif : créer une « fresque » musicale en six parties, à partir d'enregistrements de voix d'enfants, collectées à travers les pays des deux rives . «Nous sommes partis de Montpellier, en avril, pour Palma de Mallorca (en Espagne), première étape de notre aventure. Le mois de mai est réservé à la Tunisie. Nous serons en Grèce, en octobre prochain et à Beyrouth, en décembre. Nous débarquerons au Caire et à Alexandrie en février 2013. Puis, retour à Montpellier. Le spectacle final est prévu pour les 4 et 7 juin 2013», explique Thierry Petit. Puis, d'ajouter en souriant : «J'ai commencé à travailler sur ce projet, depuis 2010, bien avant le printemps arabe». Une caméra de la chaîne France 3 suivra l'aventure et diffusera un documentaire. Christophe Héral, un compositeur montpelliérain, a créé l'architecture de la composition : une œuvre d'environ 30 minutes avec la contrebasse comme fil conducteur. Répartie sur six mélodies, elle est ouverte à toute initiative d'arrangement. «Les musiciens de chaque pays y ajouteront leur touche personnelle avec des instruments locaux. Du côté tunisien, on retrouve le “naï”, le “qanoun”... un vrai poème symphonique», explique encore le musicien. Mohamed Ali Kamoun s'est chargé de la composition et l'Ensemble Orchestral de Tunis, sous la direction de Rachid Koubâa, l'a exécutée. Côté chant, deux classes d'école primaire de Tunis ont été sélectionnées pour écrire, en dialecte tunisien, les paroles. Il s'agit de l'école française Robert-Desnos et l'école 2 Mars de Jebel Lahmar. «Nous avons voulu réunir des enfants de deux milieux différents autour d'une œuvre artistique qui chante l'amitié entre les peuples», précise Thierry Petit. 45 élèves, entre 9 et 10 ans, ont donc participé à cette aventure. Pendant une semaine, l'artiste a fait répéter le chœur en classe. L'enregistrement final a eu lieu récemment à l'Institut supérieur de musique. «Ces enfants tunisiens accompagneront le chœur français, dans l'œuvre finale, mais sur écran. Dans l'impossibilité de rassembler les cinq cents élèves méditerranéens sur une même scène, nous avons choisi le virtuel. Même si on ne les voit pas physiquement, tous les petits participants seront là avec leurs images et leurs voix. Ils chanteront sur la même cadence et sur le même timbre, dans des dialectes différents, l'amitié et l'amour», prévoit l'artiste. Participation par Internet Et ce n'est pas fini. Entre les six mélodies, des ponts musicaux ont été conçus. Ils seront meublés par des solos de musiciens internautes. En effet, dès le premier stade, Christophe Héral va laisser des pages libres pour permettre aux internautes d'intervenir sur la création finale. Le site (www.contrebassevoyageuse.com) ouvre une console d'enregistrement interactive sur laquelle chaque musicien peut poser sa voix. «Une sorte de patchwork», dit Thierry. Les meilleures compositions seront sélectionnées suite à deux votes : le premier sera réservé aux internautes, eux-mêmes et le second aux compositeurs des six pays partenaires. Durant des mois, le voilier voguera de port en port, faisait des escales pendant de longues semaines. Il va, entre autres, longer la côte tunisienne et s'arrêter à Nabeul, Zaghouan, Menzel Bourguiba, El Haouaria, Kélibia et Bizerte. Avec sa contrebasse, Thierry ira jouer dans les écoles, et le soir, il transformera son voilier en salle de concert et de rencontres musicales. «Il faut apprendre à vivre ensemble», insiste-t-il. Son rêve est de créer une ronde d'enfants qui chantent, la main dans la main, autour de la Méditerranée. «Une utopie? Peut-être. Mais qui sait?», dit-il en souriant.