La Commission nationale de confiscation des biens mal acquis a-t-elle outrepassé ses prérogatives en lançant le 5 mai un appel aux personnes concernées les invitant à faire des déclarations confidentielles sur l'honneur, sur les fortunes qu'elles ont accumulées illégalement à l'époque du régime déchu, en contrepartie d'un abandon des poursuites par la justice ? Comment les composantes de la société civile ainsi que les représentants des partis politiques ont-ils réagi à cette initiative prise par la commissions? La Presse a posé ces deux questions à quelques personnes s'activant au sein du paysage politique national qui n'ont pas hésité à exprimer leur opposition à l'initiative que la Commission de confiscation des biens mal acquis a cru bon de prendre et l'ont exhortée à s'expliquer franchement sur les dessous de son acte. L'impératif de laisser la justice trancher Pour Maher Hanine, membre du comité exécutif du Parti «Al Joumhouri», le principe de la déclaration volontaire des biens mal acquis est toujours à encourager. Sauf que c'est la justice qui est seule capable de trancher sur l'origine de ces biens. Il serait judicieux de laisser la justice faire son travail. Toutefois, une certaine souplesse est recommandée afin que les gens, c'est-à-dire les hommes d'affaires et les promoteurs économiques, puissent faire leur travail. Nos entreprises économiques risquent de dégringoler si on ne trouve pas de solutions pour ces mêmes entrepreneurs. Il reste que la Commission de confiscation des biens mal acquis n'a pas le droit de décider qui doit être poursuivi et qui ne le sera pas. Les différends nés de cette question opposent généralement un homme d'affaires à un autre homme d'affaires ou à un citoyen ordinaire s'estimant lésé dans ses droits. Il peut s'agir aussi d'un conflit avec l'Etat et dans tous les cas la commission n'a «aucunement le droit de se substituer à la police». Quant à Hosni Lahmar, secrétaire général du Parti social libéral, il estime que «la Commission de confiscation des biens mal acquis n'a ni le droit ni la qualité pour proposer un deal aux personnes ciblées. Elle a été constituée pour réceptionner les déclarations des personnes morales ou physiques dont les biens ont été confisqués et dont la liste est contenue dans le décret-loi n°13 en date du 14 mars 2011. Pour nous, elle a outrepassé la mission pour laquelle elle a été créée. Avec les promesses qu'elle a faites aux personnes concernées, elle s'est substituée à la justice. Nous voulons qu'elle applique la loi dans le cadre de sa mission. Il ne faudrait pas que ses initiatives ouvrent la porte à une sorte de marché entre l'Etat et les personnes compromises. Que la commission fasse son travail dans les règles et les limites définies par le décret-loi annonçant sa création et délimitant ses attributions. Nous sommes tous soucieux de garantir l'Etat de droit et de consacrer la justice pour tous et il n'est pas question, en définitive, qu'une commission technique se hasarde à des accords compromettants à caractère politique, dans l'ombre, au détriment de l'intérêt national». Des transactions non transparentes La Coordination de la justice transitionnelle présidée par Me Amor Safraoui a réagi, vivement, à l'appel lancé par la Commission de confiscation des biens mal acquis. Dans une déclaration dont une copie est parvenue à La Presse, la coordination souligne que cet appel «traduit un manque de considération pour les pouvoirs publics, notamment le pouvoir judiciaire». «La démarche entreprise par la commission, relève encore la déclaration, vise à dissimuler les crimes commis contre le peuple et représente une violation flagrante du droit pénal». Les signataires de la déclaration publiée par la Coordination de la justice transitionnelle ne mâchent pas leurs mots pour dénoncer «l'inaction des ministres de la Justice et des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle concernant les dépassements de la Commission qui cherche à conclure un accord de réconciliation secret dont l'objectif est d'empêcher le peuple de connaître la vérité et de permettre des transactions non transparentes». La Coordination exhorte également la Commission de confiscation à publier un communiqué dans lequel elle «révoque carrément son appel du 5 mai». Elle lui demande d'accomplir sa mission, conformément aux prérogatives qui lui ont été conférées par le décret-loi n°11 en date du 14 mars 2011. Elle appelle, en conclusion, le gouvernement et les institutions étatiques concernées à s'engager «à ne plus traiter la question de la justice transitionnelle d'une manière cavalière en faisant le black-out sur la participation des organisations et associations de la société civile».