Par Néjib OUERGHI Le déferlement de la violence aveugle dans toutes les régions du pays, sans aucune raison a surpris et provoqué stupeur et colère chez les Tunisiens qui n'arrivent plus à cerner les vrais mobiles qui guident ces groupes extrémistes bien organisés. Des groupes qui, une fois le signal donné, investissent les rues et sèment le désordre et la peur dans nos villes et villages. A chaque occasion, on se sert du même alibi pour mettre le feu aux poudres et s'attaquer à tous les symboles de l'Etat dans nos cités. Méthodiquement et systématiquement. Les tribunaux, les postes de police et des forces de sécurité constituent une cible de prédilection et sont constamment saccagés et mis à feu. Fait nouveau et non des moindres, les sièges de certaines organisations nationales, à l'instar de l'Ugtt, et de partis politiques ne sont plus épargnés par les casseurs qui savent à quoi s'en prendre et envers qui proférer leurs menaces. Ces dernières s'adressent particulièrement à ceux qui ne partagent ni leur vision, ni leur projet et encore moins leurs méthodes d'action. La violence du début de semaine était, au demeurant, prévisible au regard de la succession des événements qu'a connus le pays qui ont rendu le terrain propice à de telles évolutions dangereuses. La mésentente, étalée au grand jour, entre les membres de la Troïka à propos de tous les sujets, ou presque, a préparé le lit à cet accès de violence. Qu'il s'agisse des dossiers économiques, qui ont vu notamment les conseillers du président de la République adresser des attaques en règle contre le gouvernement, de la question du remplacement du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, devenue une véritable pomme de discorde, de l'extradition problématique de l'ancien Premier ministre libyen Baghdadi Mahmoudi, de l'arrestation improvisée d'anciens responsables d'entreprises publiques et, enfin, de la purge déclenchée dans le corps des magistrats et des douaniers, on a eu l'impression que tout marche de travers et qu'au sein de l'équipe dirigeante, il manque l'accord si précieux pour conférer aux actions engagées l'efficacité requise. Il semble qu'à ce stade, toutes les forces politiques se sont engagées précocement dans une campagne préélectorale sans merci, dans le dessein de renforcer leurs positions et leur audience. Résultat : des polémiques interminables ont meublé la scène politique nationale, avec leur lot d'échange d'invectives et d'accusations. Alors que partout les attentes sont devenues difficiles à supporter, les pressions sociales fortes et la colère de plus en plus perceptible, l'Etat a tardé à apporter des réponses ou à envoyer des signaux pour redonner confiance. Dès lors, l'affaire d'El Abdellia, qui a remis sur le tapis de façon artificielle le fil rouge qui sépare le sacré et la création artistique en général, n'a pu servir que de détonateur. Le pays est bel et bien installé dans la crise et l'étincelle a été trouvée pour le faire basculer dans une nouvelle spirale de violence qu'on lui fait revêtir, pour la circonstance : l'habit de la religion. La grande manipulation survenue, ironie du sort, le dernier jour de la manifestation du Printemps des arts qu'a abritée le palais El Abdellia a été le couvert et l'artifice que certains ont maniés pour créer la discorde sur fond d'atteinte au sacré. Le prétexte est idéal et les salafistes l'ont saisi, à cor et à cri, pour faire une démonstration de force, installer la peur dans la cité et jeter l'anathème sur les artistes impies et leurs acolytes qui ne cessent de souiller la Tunisie par leur désinvolture et leur sens libertaire. Dans la phase délicate et difficile que connaît le pays, la dérive a été encouragée par l'absence d'un Etat fort, capable d'imposer la loi à tous, de faire régner la sécurité et la stabilité et de préserver l'unité nationale. Au lieu de favoriser une convergence de tous les efforts vers un consensus qui renforcerait la stabilité, la sécurité et la confiance, certains ont préféré se couvrir la face et se livrer à une fuite en avant sans chercher à extirper le mal à la racine. C'est que, pour certains, la tentation est grande et le terrain se prête à merveille pour imposer par la force et la violence ce que la loi réprouve et les Tunisiens dans leur majorité refusent. Une nouvelle crise que tous les intervenants dans la sphère politique n'ont pas réussi à épargner à un pays encore à la recherche de repères solides pour rebondir. Ce qui est dommageable : la Tunisie a perdu, après cette épreuve, une nouvelle occasion de reconstruire sa démocratie, son économie et son modèle de société. Ce qui est positif, en revanche : une prise de conscience est en train de naître partout et des initiatives sont en train d'être concoctées pour sauver la Tunisie et tous les acquis dont les Tunisiens sont si fiers.